"Allo Maman ?"



pour m'écrire































































hier demain
Mardi 10 avril 2001

Dans ma famille, on est des gens discrets et bien élevés. On n'aime pas trop se faire remarquer : on est poli, on remercie les personnes qui nous ont aidés, on ne lève trop la voix de peur d'importuner autrui, on fait attention à ne pas gêner les gens autour de nous. On n'est pas impressionnamment cérémonieux et courtois. On est juste respectueux, c'est tout.

C'est pour cela qu'il y a certains comportements qui me semblent être incompréhensibles. Comme celui d'une de mes collègues l'autre jour dans la salle des profs. Les quelques profs qui étaient là essayaient de travailler. Moi, j'avais le nez dans mes copies. Il y avait une prof à la table d'en face, particulièrement bruyante et excitée, qui était en pleine conversation avec un prof de langue. Pas facile de se concentrer sous ce flot de paroles. Mais bon, la salle des profs est aussi faite pour parler à ses collègues. Soudain, la fille interrompt brutalement son collègue. Celui-ci était en plein milieu d'une phrase, répondant à une question qu'elle lui avait posée, mais, ne semblant pas même s'en apercevoir, elle se met à se jeter sur son téléphone portable (instrument interdit dans l'enceinte de l'établissement, soit dit en passant) et à composer un numéro : "Allo Maman ? Oui, c'est moi ! ...Non, j'ai pas pu voir la maison de Trifouillis hier. David a pas voulu. Il veut pas habiter là bas... Je te dis que non, il veut pas... Oui pourtant elle doit être parfaite cette maison. Je vais aller la visiter quand même demain, sans le dire à David... Oui, faut pas perdre une occasion pareille... Oui, Maman, t'as raison..." Au bout de quelques minutes, elle s'est levée, toujours le téléphone collé à l'oreille et s'est mise à tourner en rond dans la salle, histoire peut-être que même les ceux qui étaient assis loin d'elle puissent participer à la conversation : "Oui, Maman, je te dis que j'en ai parlé à David !" La discussion n'en finissait pas. "Oui, Maman ! Demain, 14 heures !" Tout le monde se regardait dans la pièce, éberlué de voir tant de désinvolture. Tout le monde sauf la femme de "David" qui ne semblait pas voir ce que la scène qu'elle provoquait avait d'inconvenant ou tout de moins de particulièrement indécent. Au bout de presque une dizaine de minutes, la discussion paraissait enfin tarie : "Non, Maman, tu ne peux pas me rappeler dans dix minutes. Je serai en cours... Oui, je suis à l'école là... Non, je te dis que tu peux pas...". Devant l'insistance de la Môman j'ai cru qu'elle allait finalement par dire qu'exceptionnellement elle allait laisser son téléphone branché pour reprendre la conversation au milieu de ses élèves (si on ne se gène pas auprès d'adultes, pourquoi le faire auprès d'enfants, après tout ?). Enfin, au bout de quelques longues minutes, le téléphone fut enfin raccroché. On croyait tous qu'on allait enfin pouvoir souffler et se remettre à notre travail. Mais non, deux minutes plus tard, on l'entend s'écrier : "ah ! j'ai un message sur mon répondeur !" Bien, on est heureux de le savoir ! C'est David qui a changé d'avis ? C'est l'agent immobilier qui a fixé le rendez-vous ? C'est qui ? Allez, dis nous ! Il n'y a qu'à demander voyons. Aussitôt, la voilà qui ré-empoigne le maudit engin : "Allo ? Le salon ? Oui, je voudrais parler à mon esthéticienne, Véro." Non, pitié !!! Là, heureusement que j'étais assise, car j'ai entendu la fille dire aux oreilles de tous les collègues réunis : "oui, je voudrais un bain complet... Oui, je préfère tahitien... A quelle heure je peux venir ?". Je dois avouer qu'au moment où elle s'est mise à décrire précisément ce qu'elle voulait qu'on lui fasse pour être jolie (pour David ?), j'ai craqué. J'ai rassemblé mes affaires et je suis allée travailler à la bibliothèque. Là bas, j'étais impressionnée de voir qu'il pouvait y avoir autant de silence dans un lieu pourtant réservé à des gamins particulièrement bavards en règle générale.

Le pire, c'est que je suis sûre que cette collègue ne s'est nullement doutée de la gène de chacun des collègues qui avaient écouté malgré eux ses conversations personnelles. Je crois que cela ne lui a pas même traversé l'esprit. Pas une seule seconde. On ne doit pas avoir "les mêmes valeurs", comme on dit.

Ou alors, peut-être que c'est dépassé, après tout, de se soucier des autres. Peut-être que c'est pas grave après tout de prendre un lieu public pour son living-room. Peut-être que la politesse et le respect, ce sont des concepts de "vieux". Sûrement que bientôt le téléphone portable sera devenu un appareil aussi indispensable que la calculatrice au sein du lycée. Quand on aura envie de parler, on prendra son téléphone : "Allo Chéri, t'as pas oublié de donner le biberon à Mimi et tu lui as bien changé ses couches ?", entendra-t-on en plein conseil de classe. Et à celui qui osera faire une remarque, on rétorquera que les fesses de Mimi sont au moins aussi importantes que le cas du petit Pierre Poulpien, de 2nde G. Oui, c'est ça : faudra que je m'y fasse, que j'apprenne à oublier ces foutues bonnes manières et ces impossibles règles de politesse qu'on m'a inculquées quand j'étais petite. Non mais !

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Ce que je lis en ce moment : sûrement pas le Manuel des bonnes manières
Ce que j'écoute : Hannah qui réclame des croquettes
Ma question du jour : me suis-je trompée de caractère et d'époque ?

Il y a un an.