Dans les pommes.



















































pour m'écrire
hier demain
Jeudi 21 mars 2002

Il m'est arrivé un truc, ce soir. Un truc qui ne m'arrive pas d'habitude. Un truc dont je dois peut-être m'inquiéter, je ne sais pas. Un truc qui est peut-être anodin, au contraire. Mais un truc extrêmement troublant, au sens propre comme au sens figuré...

J'étais au cours de gym. On en bavait, mais pas plus que d'habitude. Le cours du jeudi, c'est toujours un peu plus dur que celui du lundi. C'est de la gym tonic, alors que le lundi, c'est de la gym douce. Là, on se musclait nos petits bras. Et 1, et 2, et on souffle, et 1, et 2... Tout ça, quoi. J'étais en forme, je m'appliquais à faire les mouvements bien comme il faut. Et puis tout d'un coup...

Tout d'un coup tout s'est brouillé devant moi. J'ai eu une absence qui, pour moi, dans le demi coma dans lequel je suis tombée, aurait pu durer aussi bien quelques secondes (comme ça a été le cas) que deux jours. Quand je me suis réveillée, j'étais par terre, la prof et les filles étaient autour de moi, paniquées. J'avais une serviette sous la tête. Et on me disait : "reste couchée ! on va te donner un sucre ! c'est rien !". En d'autres termes, je me suis évanouie. Evanouie !!! Je ne sais pas ce qui m'est arrivée. Il paraît que je suis tombée contre la porte, et, en effet, j'ai une petite bosse sur le front. Mais de cette chute, je n'ai eu aucune conscience. Quand j'ai vraiment repris mes esprits et que j'ai compris ce qui m'arrivait, je me suis vraiment sentie stupide. La prof m'a obligée à rester assise pendant toute la fin du cours et je suis rentrée avec deux filles qui habitent à côté de chez moi. Je ne sais pas si je suis malade, ou bien juste fatiguée...

C'est une sensation étrange de s'évanouir... L'impression de perdre tout contact avec la réalité, sans pour autant s'en apercevoir. Cela m'était arrivé déjà il y a quelques années. Je visitais un camp de concentration, avec mon père et mon frère, en Alsace. C'était horrible. On voyait les baraques alignées, les appareils de torture, et surtout il y avait un type, un guide avec un micro, qui racontait tout, en donnant des tas de détails sordides, mais d'un ton terriblement neutre et sans émotion. Il faisait chaud et on était tous serrés les uns contre les autres, dans une de ces petites maisons qui avaient servi de prison aux détenus. Tout d'un coup, ma conscience est partie. Cela a duré quelques secondes à peine. J'ai juste sentie une forte chaleur et tout s'est obscurcit devant les yeux. Pendant cet instant précis où toute conscience en moi s'est effacée, j'ai vu devant mes yeux une image particulièrement douloureuse : celle d'un homme qui se faisait torturer dont je voyais distinctement le visage. Un visage d'où coulaient de grosses gouttes de sang lourdes et opaques. Cette scène qui est passée comme un flash en moi correspondait à ce que venait de décrire le type au micro avec sa voix neutre. J'avais tout visualisé exactement comme si j'y étais. Cette image est restée gravée très longtemps en moi, d'une façon extrêmement forte. Lorsque je me suis réveillée, tout le monde était paniqué autour de moi, en train de s'affairer sur moi. C'est peut-être bête, mais je me rappelle que ce jour là j'avais une jupe particulièrement courte et qu'il y avait quelqu'un qui disait "il faut lui maintenir les jambes en l'air !". La première pensée que j'ai eue quand je suis revenue à moi, c'est que la bonne quarantaine de personnes autour de moi devaient avoir vue plongeante sur ma culotte, ce qui m'a extrêmement mise mal à l'aise. Ensuite, tout le monde était extrêmement prévenant avec moi. Je me souviens d'une dame qui m'avait offert des lingettes rafraîchissantes et qui me donnait des tas de conseils. Je me rappelle aussi de mon père une fois que j'ai pu recommencer à marcher pour sortir du camp. Il était un peu essoufflé, car on montait un chemin légèrement escarpé. Il m'a dit en me serrant la main : "on n'aurait pas tenu longtemps, tous les deux, dans cet enfer". J'avais envie de pleurer.

Peut-être suis-je trop fragile, trop émotive... Cet événement m'avait fait beaucoup réfléchir sur moi-même à cette époque. Je m'étais dit que ma force, cette force que je recherchais dans chacune de mes actions, était finalement bien illusoire et n'était là que pour cacher une intense fragilité que je refusais d'admettre. C'est étonnant que cet épisode d'aujourd'hui m'ait rappelé tout cela...


Il y a un an.
Il y a deux ans.