Des mots en sang




pour m'écrire




































































hier demain
Dimanche 7 avril 2002

Je suis allée au Salon du Livre, il y a quelques semaines. Je voulais savoir ce qu'est un écrivain, ce qui pousse certaines personnes à poser des mots sur le papier. Je voulais voir de mes yeux si ces gens qui écrivent sont comme tout le monde ou s'ils ont un pouvoir presque magique, comme je l'ai toujours pensé. Je voulais aller vérifier moi-même tout cela et trouver des réponses à mes questions.

Mais je n'ai pas vu grand chose. Il y avait des livres partout, certes, mais aussi de la publicité. Plein de publicité. Et puis des gens en costume qui se congratulaient et qui s'exclamaient "c'est de toute beauté !" en faisant de grands gestes avec les mains. Il y avait aussi des stands dans lesquels étaient tenus des prisonniers des écrivains. Ils étaient assis à une table, avec au-dessus inscrit leur nom (et plus leur maison d'édition était importante, plus leur nom était marqué en gros) et leur photographie (car l'image d'un écrivain n'est pas aussi connue que celle d'une star de cinéma). Il fallait leur acheter leur dernier livre pour avoir l'honneur de les approcher et demander timidement une dédicace sur la page de garde. Devant les auteurs les plus médiatiques (l'irritant Frédéric Beigbeder par exemple), il y avait des files d'attente à n'en plus finir. On pouvait à peine s'approcher pour voir la tête du gars qui avait le stylo en main et qui signait ses ouvrages. Devant Bernard Werber, les gens étaient tellement agglutinés, la main tremblante en tendant leur livre de poche, que cela en devenait indécent (surtout pour quelqu'un comme moi qui n'a lu aucun de ses bouquins). Et ces succès étaient d'autant plus accablants qu'un auteur comme Joseph Joffo, celui-là même qui m'avait tant ému avec son Sac de bille lorsque j'étais enfant, était désespérément seul, attendant en vain les lecteurs qui ignoraient effrontément sa présence. Même des pseudo-écrivains (et pseudo-politiciens aussi d'ailleurs) comme Bernadette Chirac ou Claude Allègre, avaient plus de popularité, dans ce jeu où le talent était supposé se mesurer à l'audimat, comme à la télé.

Et au milieu de cette foire, un homme avec une chemise rose, suivi d'une clique qui l'applaudissait en criant "hourra !", est passé. Tout le monde était regroupé autour de lui. J'ai entendu une dame chuchoter : "c'est l'entarteur ! cet homme qui lance des tartes à la crème au visage des personnalités les plus en vue !" J'ai appris plus tard que sa victime avait été Jean-Pierre Chevènement ce jour là. Ca m'a fait une belle jambe.

Voilà ce que j'ai vu au Salon du Livre. C'est dire si aujourd'hui je ne sais toujours pas ce qu'est un écrivain et ce qui fait qu'un jour l'on écrit. Je n'ai vu que la laide et superficielle partie de la création littéraire. Mais pas sa source. Pas sa force. Pas son abîme.

Picouly et Beigbeder

Je ne sais pas ce qui pousse certains hommes à écrire. Je sais juste ce qu'il y a en moi. Des mots qui me font saigner. Des mots comme une blessure ouverte que rien ne peut refermer. Des mots rouges qui font mal et qui libèrent en même temps. Des mots à n'en plus finir sous lesquels j'ai peur de me noyer.

J'aimerais qu'on me confirme cette intuition que j'ai en moi et qui est pourtant comme une certitude : est-ce vrai que c'est avec la douleur qu'on écrit ? que c'est elle qui tient le stylo à bout de doigt, toujours prête à faire des ratures lorsque la gaieté fait mine de revenir ? Est-ce pareil pour les autres ? Est-ce bien avec leur sang qu'ils écrivent, comme si les mots étaient des hématomes que la vie leur aurait fait à la surface de la peau ? Toute écriture est-elle bien un cri arraché à la douleur d'exister et à l'émerveillement d'être présent ici et maintenant ?

Dès que j'écris, j'ai mal. Mais si je n'écris pas je sais que la souffrance sera pire encore. Parce qu'insensée. Parce qu'inutile. Parce que muette.




Il y a un an.
Il y a deux ans.