Dimanche 1er septembre 2002

Demain, déjà.
Il y a cette boule au creux du ventre qui est revenue ce matin. Elle était partie pendant deux longs mois et je l'avais presque oubliée. Mais non, en voyant sur le calendrier les lettres rouges formant le mois de SEPTEMBRE, elle a répliqué dare dare, pour venir me piquer en pleine poitrine, sans égard pour mes dernières heures de vacancière moribonde. J'aimerais réclamer à mon bourreau un répit un peu plus long. Je le supplie à genoux : quoi, avec ces dernières semaines d'août gâchées par ce déménagement précipité, n'ai-je pas mérité un petit repos supplémentaire ? Je veux pas tout de suite partir pour l'échafaud. Oh non, pitié, pas déjà !

Kolok n'est pas encore arrivée. Alors je passe le week-end à jouer à la petite fille dont les parents sont partis pour le week-end : je bouffe directement dans le papier le jambon sous Cellophane, je mate "C'est mon choix" les pieds sur le beau canapé à fleurs, je traîne toute la matinée dans mon bain en mouillant toutes les pages de mon bouquin, et puis je fais gueuler la chaîne Hi-fi en dansant sur le CD de salsa de Kolok. Oye como va !, disent les messieurs sur le disque avec leurs maracas. Ça va, ça va, gracias, je réponds en freudonnant l'air de "Guantanamera" et en remuant du bassin. Que voulez vous... Je fais juste ce que je peux pour oublier que demain, déjà, c'est la rentrée.

La maison est trop grande pour moi toute seule. Alors je m'amuse à courir après le soleil qui entre par les fenêtres en dessinant de grands carreaux dorés sur le plancher. Le matin, j'attrape les rayons sur les murs de la grande salle de bain de marbre. Elle est si belle cette salle de bain que j'ai envie d'y passer des heures, juste à m'occuper de moi, juste à faire des trucs de fille avec des crèmes, des flacons et des pinceaux. A midi, je rejoins le soleil qui, subrepticement, a changé de côté pour se faufiler à travers les vitres de la fenêtre du salon. L'ombre lumineuse et chaleureuse qu'il forme sur le parquet de bois tourne doucement autour de la cheminée, écoulant les dernières heures de l'été. En fin d'après-midi, de nouveau le soleil m'appelle. Il est monté à l'étage cette fois-ci, venant cogner contre la partie vitrée du toit de ma chambre. Je lève la tête. Le toit est habité non seulement par les rayons finissant, mais aussi par Mister Pigeon. Mister Pigeon prend mon velux pour une piste de danse. Il tape des pattes contre le rebord, battant des ailes, et cognant son bec contre la vitre il me regarde. Il regarde cette fille allongée dans son lit qui le regarde au-dessus d'elle. Mister Pigeon a l'air gentil, mais il se croit tout permis. Ce matin, je l'ai surprise avec une copine à lui, en train de lui faire pleins de bisous, les ailes remuant de tous les côtés dans l'éclat d'envols trop précipités.

Tout à l'heure, le soleil va se coucher. Il ne viendra plus dans la maison. Mister Pigeon sera peut-être parti dormir, lui aussi. Kolok sera rentrée. Il faudra appuyer sur les touches du réveil pour le régler sur 7 heures, mettre Celia Cruz et ses rythmes cubains sur "off", et retrouver sous le sac de plage le cartable noir si sérieux. Il ne faudra pas soupirer trop fort pour ne pas se désespérer trop tôt. Il importera seulement de relire ces vers de Lautréamont en essayant d'y croire et sans pouffer devant tant de bêtise :

"...O poulpe, au regard de soie ! toi, dont l'âme est inséparable de la mienne ; toi, le plus beau des habitants du globe terrestre..."

Oui, il faudra être pleine d'entrain et d'enthousiasme et surtout ne pas devenir déjà sarcastique. Il sera nécessaire, quand même, de se forcer à attendre quelques jours avant d'accuser le Poulpe de base de ressembler à ça :

je suis un bon saucisson, moi

Ouais, demain, c'est la rentrée. C'est bel et bien déjà demain, hélas...



Il y a un an.
Il y a deux ans.
Il y a trois ans.

pour m'écrire


hier demain