Dimanche 19 décembre 2004

8 heures par jour comme une grande

Il y a une quinzaine de jours, un après-midi, je m'absente une demi-heure pour aller à la bibliothèque à côté de chez moi. A mon retour, le chiffre "1" clignote en rouge sur le téléphone-répondeur. "Allo ! C'est la DRH de Superédition ! Nous aurions peut-être un CDD à vous proposer. Rappelez-moi !" Un peu sonnée qu'une grosse boîte d'édition m'appelle, alors que je n'envoie plus de CV depuis des semaines, lassée de ne recevoir aucun signe de vie de l'autre côté du fil et de la boîte aux lettres, je rappelle aussitôt, le coeur battant. On m'explique brièvement le job. Rendez-vous est pris pour le lendemain. Le jour suivant, j'arrive dans les impressionnants locaux de Superédition. Je suis baladée dans les couloirs. Un entretien. Puis un deuxième. Puis je rentre chez moi, me disant que ça ne fait rien si je ne suis pas prise, au moins j'aurai appris à passer des entretiens d'embauche.

Mais deux jours plus tard, rebelotte. Le petit "1" qui clignote sur le téléphone-répondeur à mon retour un midi. La même voix, un peu pressée : "Bonjour, c'est la DHH ! Rappelez-moi !" Je rappelle. On me dit que si je suis d'accord, je commence le lendemain à travailler. Je raccroche le téléphone. J'ai toujours le coeur qui bat un peu fort. Et surtout la même incrédulité : pourquoi m'avoir choisie, moi qui ait si peu d'expérience ?

Mais la machine est lancée, impossible de reculer : par un hasard inespéré, on me donne ma chance et il serait dommage de ne pas la prendre. Le lendemain matin, me voici donc en route pour mon nouveau travail. J'ai l'impression que c'est la rentrée des classes et j'ai cette boule si familière dans le ventre. Sauf que c'est différent : avant, quand c'était la rentrée pour moi (la prof), c'était aussi la rentrée pour les autres (les élèves et les collègues). Là, tout le monde est installé à son poste depuis longtemps, et je ne peux pas dire pour me consoler que je ne suis pas la seule à ne pas savoir où je mets les pieds.

Le premier jour, je suis revenue complètement cassée et démoralisée chez moi. J'avais pris une dizaine de pages de notes de ce que je devais faire, de ce à quoi je devais penser : le code de la photocopieuse, celui des coursiers, celui de la boite vocale, celui de l'ordinateur... Comment se mettre tout ça dans la tête ? Et puis, surtout, comment arriver à prendre la suite d'un absent et récupérer ses projets en cours de route ? Je remplace en effet un éditeur malade et je dois continuer tous ses livres en cours : appeler les maquettistes pour qu'ils envoient leurs fichiers, tanner les auteurs pour qu'ils rendent leurs manuscrits, chercher des correcteurs pour qu'ils relisent les épreuves, aller voir le fabriquant pour qu'il vérifie la couverture choisie... La liste est longue, mais finalement je passe parfois plus de temps à comprendre comment le type que je remplace a rangé ses dossiers dans son ordinateur et à saisir sa logique (toute particulière) de classement qu'à avancer dans le travail. Mais, plus les jours passent, plus je me dis que ce n'est pas si difficile et que j'y arriverai peut-être, en fin de compte.

Le matin, je suis tassée dans le bus avec tous ces gens qui font la tête à la nouvelle journée qui commence. Et le soir, lorsque j'entre dans la bouche du métro, le jour est couché depuis longtemps. Depuis la fenêtre de mon bureau, j'ai vu la lumière du jour baisser petit à petit, au fil de la fin d'après-midi, et les lumières de Noël s'allumer de l'autre côté des immeubles. Là, dans le métro, je me donne l'impression d'être devenue une "grande" : je fais comme les autres, je vais travailler dans un bureau huit heures par jour et j'ai des dossiers en cours, une ligne téléphonique et une adresse e-mail au nom de mon entreprise. Comme les grands, je vous dis ! Sauf que... Sauf qu'entre deux métros, entre deux coups de fil ou entre deux problèmes à régler, je me regarde parfois évoluer et le temps d'une demie seconde, je me dis : "est-ce que tu es sûre que c'est de cette façon que tu veux devenir grande ?" Mais la demie seconde suivante, je me réveille et je me donne une paire de gifles : "Mince, t'arrivera-t-il un jour d'être heureuse d'avoir enfin obtenu ce dont tu as rêvé au lieu d'être toujours insatisfaite !"

Hannah, elle aussi, fait le sapin




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