Vendredi 28 décembre 2007

 

Grippé

La journée s'étale. Lentement. Et pourtant bien trop vite. Hier soir, j'ai retrouvé O. tout malade. Dès son retour, il a filé droit dans le lit. Il ne voulait pas me voir, pas m'approcher, de peur de me transmettre le méchant virus qui l'a assailli. Il n'a rien mangé. J'ai avalé rapidement, seule devant la télé, la moitié du repas que j'avais préparé pour nous deux. La nuit, lorsque j'ai étendu mon pied vers son corps, je l'ai senti tout chaud. Mais il m'a repoussé, s'est retourné, a caché son visage. Au matin, les allers-retours jusqu'aux toilettes. Pour ne pas entendre ce qu'il n'aurait pas voulu que j'entende, j'ai allumé le radio-réveil. Il était 7 heures du matin et dans le poste ils parlaient de la mort de Bénazir Bhutto.

Depuis, la journée traîne et je traîne avec elle. Chacun allongé dans un des canapés du salon, emmitouflés dans une couverture qui nous arrive jusqu'au menton, nous laissons la journée perdre peu à peu ses heures. Tout à l'heure, c'était le matin qui, doucement, venait éclairer le grand immeuble gris d'en face. Maintenant, il fait nuit et on ne voit plus du grand immeuble que quelques fenêtres allumées. On aperçoit les gens dans les bureaux qui travaillent. Mais plus la nuit se fait dense, plus nombreuses sont les fenêtres à s'éteindre. C'est vendredi soir maintenant, et les bureaux encore allumés sont vides.

La journée s'étire. O. est malade et moi je suis malade avec lui. Mon corps va comme d'habitude, mais la paresse m'a envahie. Je n'ai envie de rien. Je pense simplement que je suis un bien mauvais garde-malade. La télé est allumée. On ne s'intéresse pas vraiment aux mêmes programmes. Tout blanc dans sa couverture, les cheveux en bataille, O. laisse défiler dans l'écran de vieux dessins animés qui, à eux seuls, sont des souvenirs d'enfance. Niki Larson, la voix nasillarde de Dorothée dans le générique de Dragon Ball Z et Télémaque dans Ulysse 31. Le regard éteint, O. avale les images, l'esprit ailleurs. Je n'arrive pas à suivre ces dessins colorés que, pourtant, autrefois, j'ai regardés. Je n'arrive pas à partir non plus à quitter la couverture chaude du canapé, à laisser O. seul avec sa fièvre. Alors je me tourne vers la fenêtre et me plonge dans mon bouquin. Pour tenir le livre ouvert, je suis obligée de sortir une main de la couverture. J'alterne la main gauche et la main droite, réchauffant la main libre en la coinçant entre mes cuisses. J'arrive à me concentrer sur ma lecture, sans être perturbée par les bruits de la télévision. Mina est près de moi. O. l'a appelée plusieurs fois, mais elle a préféré mon canapé au sien : il est près de la fenêtre et ainsi, elle peut regarder dehors les feuilles du balcon qui virevoltent, les pigeons qui la narguent et les gens dans les bureaux, là-bas, de l'autre côté du trottoir.

O. est parti se coucher. Il n'a pas voulu déjeuner. J'ai avalé rapidement, devant l'ordinateur, une soupe de nouilles chinoises hyophilisées. J'aurais des tas de choses à faire. Préparer les vacances au Japon, répondre à des mails en retard, apprendre mes leçons d'arabe, finir une nouvelle commencée il y a une éternité. Et puis aussi faire les courses, balayer les aiguilles de sapin que le chat s'amuse à arracher, lancer une lessive. Mais je n'ai envie de rien. Allongée dans le canapé du salon, le chat calé contre moi, je regarde les feuilletons de l'après-midi sur M6. J'ai une vague honte. Le collant sentiment que je perds mon premier jour de vacances dans la paresse. Mais je n'arrive pas à bouger. Je parviens juste à me lever pour attraper le téléphone et, après de multiples appels, joindre la Poste qui me répond qu'elle va mener une enquête sur mon colis qui n'est pas encore arrivé à destination. Je dis à O. que ce n'est pas encore aujourd'hui qu'il aura son cadeau de Noël. Je dis aussi qu'à la Poste ce sont des débiles mentaux. Ça me soulage un peu de dire ça, même si je sais bien que ça ne veut rien dire. Je vais nettoyer la litière du chat et descendre la poubelle. Dans l'ascenseur, je me dis que je suis une mauvaise garde-malade, et une mauvaise épouse aussi.

C'est presque le dernier jour de l'année. On laisse passer la journée sans essayer de la rattraper. Inconsciemment, on se dit qu'il vaut mieux être déjà demain parce que demain, sûrement, ça ira mieux. Demain, O. ne sera plus malade. Et moi je ne serai plus malade à le regarder malade.

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