Lundi 19 octobre 2009

L'ennui

Mina, la chatte de la maison, s'ennuie. La vie dans un appartement citadin n'est décidément pas amusante. Parfois, une mouche la sort de sa léthargie. Un coup de patte, un coup de langue - et un lointain souvenir enfoui dans les gènes qui revient : comme c'est bon de manger le produit de sa propre chasse, si minime soit-elle ! Parfois, même, un pigeon se pose sur le balcon. Le regard de Mina s'anime, un feulement sourd sortant de sa gueule. Mais voilà, entre le chat et l'oiseau, il y a la vitre. Un coup de patte contre le carreau et rien d'autre. Rien d'autre que le regard narquois du pigeon qui fait semblant de ne pas voir ce pitoyable chat d'appartement. L'assaut sur le pigeon s'est heurté à une vitre froide. L'oiseau s'envole et le chat part, la queue basse, le pas nonchalant. Un saut habile sur la cheminée, entre les beaux vases anciens, puis, de là, un saut périlleux sur la commode. La place est en hauteur, parfaite pour surveiller tranquillement la maison, d'un oeil un peu éteint, et regarder entre deux sommes ces drôles de maîtres qui vivent avec nervosité leur vie d'humains.

Mina s'ennuie. Un miaulement au lever du soleil pour avertir la maisonnée de l'heure du lever, quelques coups de langue sous l'eau du lavabo (boire dans sa gamelle serait faire preuve d'une telle bassesse) et le harcèlement sonore dans les jambes de sa maîtresse pour avoir les croquettes du matin. Et rebelote le soir après une journée à dormir sur le radiateur, puis à guetter derrière la porte le retour des maîtres. Le temps passe, mais Mina ne s'en aperçoit pas.

Sur le radiateur du salon, le corps de Mina se ramollit. Peut-être Mina rêve-t-elle. Peut-être même se moque-t-elle de ces humains qui prétendent que sa vie à elle n'a pas de sens. Manger, dormir, comment donc, cela lui suffit ? Il faut être né humain pour s'imaginer qu'être limité à ces fonctions essentielles, c'est être faible. Peut-être que Mina se dit que la faiblesse, c'est de ne pas se contenter de ce que l'on a, de ce que l'on est. Du haut de la bibliothèque du salon, Mina regarde ses maîtres qui vivent (c'est-à-dire qui courent, regardent leur montre, soupirent, se disputent et s'inquiètent). Peut-être se dit-elle que la faiblesse des hommes, c'est de ne pas se contenter de ce qu'ils sont.

Un dimanche au fond du lit avec l'envie de ne rien faire d'autre que dormir et lire. J'ai l'impression d'être devenue mon chat. Je me traîne en pyjama - du lit au canapé, du canapé à l'ordinateur, de l'ordinateur au lit. O. me regarde. Il me dit : "pourquoi t'es triste ?" Je dis Je n'ai rien fait d'autre de ma journée que somnoler comme Mina contre le radiateur. Et puis j'ajoute Ma vie m'ennuie. O. répond : "Pourquoi n'es-tu jamais satisfaite ?" Je caresse Mina et j'écoute les mots d'O. qui résonnent dans ma tête. Oui, pourquoi ? Pourquoi donc ?

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