Mars 2014
Mardi 18 mars 2014

Fleurs de printemps

C’est le printemps. Dans la cour de mon travail, il y a des arbres en fleur. Des fleurs d’un rose presque blanc, si légères et délicates qu’elles ressemblent à un dessert confectionné par un chef étoilé. Elles ont fleuri comme ça, du jour au lendemain, sans que personne ne s’aperçoive de rien. Un lundi matin, l’arbre dénudé qu’on ne regardait pas s’était transformé en magnifique arbre printanier. Comme un miracle. Comme une promesse murmurée en secret.

C’est le printemps et voilà que j’ai repris le chemin du travail depuis quinze jours. J’étais partie dans la chaleur caniculaire d’août avec mon gros ventre et ma fatigue. Je reviens le ventre plat, le menton caché sous ma grosse écharpe bleue pour me protéger de la fraîcheur des matins. Le premier jour, j’ai ouvert mon ordinateur, peinant à trouver le bon mot de passe. Puis la Sardine est apparue sur l’écran bleu, une Sardine d’été dans sa robe de bain de soleil fushia, une Sardine qui n’avait pas encore les cheveux si longs et qui portait encore des couches. Cela m’a fait drôle de revoir tout à coup cette photo oubliée. Comme l’impression que j’étais partie hier et qu’en même temps un vide spatio-temporel avait eu le temps de prendre ses aises entre l’été et le printemps de l’année suivante. Sur le mur de mon bureau, j’ai retrouvé la photo de la Sardine quand elle était bébé. Je me suis empressée d’enfoncer la touche « print » pour tirer de l’imprimante une photo de mon second bébé et la scotcher à côté de la première. Je me suis dit, Je deviens comme ces femmes qui couvrent leur bureau des photos et des dessins de leurs enfants, quelle horreur. Et puis je me suis dit aussitôt, Tant pis, elles sont si belles mes bébés, je ne veux pas cesser de pouvoir les regarder.

Plus de six mois écoulés dans l’absence, un automne et un hiver disparus dans un claquement de doigts, et une place retrouvée presque identique. Presque, mais pas tout à fait : des taches noires de thé dans mon mug préféré, un gâteau emballé dans son sachet de plastique, de nouveaux stabilos dans un pot rouge, et puis des papiers noircis par l’écriture d’une autre que moi. Je reprends les dossiers en cours, forcée de gérer les retards accumulés. Je tourne les pages des grandes épreuves, parfois étonnée par certains choix qui n’auraient pas été les miens. J’annote et je rature, je post’it et je gomme. Je réponds au téléphone et je souris quand j’entends « on est contents de vous retrouver ». A la cantine, je tends mon plateau-repas et mon badge et je réponds « ça va » au chef à la coiffe blanche qui me demande « comment va la postérité ». J’écoute d’une oreille les collègues qui parlent des derniers films vus, moi qui n’ait pas mis les pieds au ciné depuis si longtemps. Et je regarde l’heure. Bientôt l’heure des mamans chez nounou, puis à l’école.

C’est le printemps. J’ai posé mon agenda sous mes yeux. J’ai du mal à me situer dans le temps. Je ne sais plus très bien quand je suis, ni peut-être qui je suis. Je ne sais plus très bien ce que j’ai fait pendant tous ces mois, ni qui j’étais. C’est le printemps et, en regardant les petites fleurs roses qui virevoltent dans le ciel, je me surprends à reprendre des projets oubliés. Des projets de ma vie d’avant. Écrire, coudre, espérer. Être fière de soi et pas seulement de mes filles. Me dire que peut-être finalement ce que je suis n’est pas si mal.

Ca fait du bien. Oui, finalement, ça fait du bien de se sentir légère comme une fleur de printemps.

Vendredi 28 mars 2014

Dernières fois

3 ans pour la Sardine, 6 mois pour la Crevette. Est-ce que c’est vrai qu’on se réveille un matin et qu’on s’aperçoit que nos enfants sont déjà grands ? Parfois, je regarde mon petit bébé, ma dernière née qui a encore plein de premières fois à découvrir (premières vacances, premier tour de manège, premiers pas, etc.) et qui, pourtant, a déjà vécu tant de dernières fois. Elle a à peine six mois et je peux déjà faire la liste des « jamais plus », ce qu’elle était n’existant déjà plus que dans un souvenir.

Il y a eu la dernière fois qu’elle a mis ce petit pantalon rose et blanc qu’elle portait deux jours après sa naissance. Je l’ai lavé et plié avec précaution pour le ranger dans sa boite de souvenirs de bébé (avec le journal du jour de sa naissance et son petit bonnet blanc de la maternité). Dans son armoire, au milieu des habits encore trop grands hérités de sa sœur aînée, j’ai déjà commencé un tas où j’entasse les vêtements taille 1 mois, taille 3 mois. Je vois la pile qui monte, qui monte et je me demande si un autre bébé les mettra un jour. Ce que je sais c’est que ce ne sera jamais plus un de mes bébés que je verrai dans ce petit pyjama rayé.

Il y a eu la dernière fois qu’elle a posé sa tête sur le réducteur de velours de la poussette. J’ai rangé le petit coussin dans son armoire, à côté des habits. Comme en attente. Attente feinte puisque jamais plus.

Il y a eu la dernière fois où j’ai compté son âge en semaines. Maintenant, je ne compte plus qu’en mois. Bientôt ce sera seulement en années.

Il y a eu la dernière fois où je me suis demandée, anxieuse, quand est-ce qu’elle se mettrait à sourire. Aujourd’hui, ma petite Crevette a toujours un sourire accroché aux lèvres. Petit bébé rieur, toujours de bonne humeur, capable de rendre heureux tous ceux qui la regardent.

Il y a eu la dernière fois où j’ai passé une semaine entière avec elle, 24 h sur 24 rien qu’avec sa petite tête ronde et ses jolis bras potelés, sans qu’une autre odeur féminine que la mienne vienne embrasser ses cheveux tout fins. Je ne peux plus dire désormais « je suis en congé maternité ». Non, je suis une maman qui travaille et qui confie son enfant à une autre dame entre 9 h et 18 h. J’écoute l’autre dame décrire avec précision la consistance des cacas de ma fille et je ne suis plus en mesure d’être aussi experte dans ce sujet.

Parfois je pense à toutes les dernières fois qui nous attendent toutes les deux. Et j’ai le vertige. Peut-être est-ce pour cela que je retarde le moment de la dernière tétée. Je ne suis pas pressée de remplacer le sein par un biberon. Car après cela, il y a aura un autre jamais plus. Jamais plus je ne porterai un enfant dans mon ventre. Jamais plus je ne prolongerai ce lien grâce aux gouttes de lait chaud entre elle et moi.

Je ne suis pas nostalgique. C’est comme ça. Juste comme ça. La vie avance dans un sens. Un seul sens. Pas de retour en arrière possible. Pas d’arrêt sur l’image. Je sais qu’entre les « jamais plus » il y a des premières fois. Des dizaines, des centaines de premières fois, presque capables de faire oublier les dizaines, les centaines de jamais plus.

 


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