Vendredi 25 avril 2014

L'absente

La Sardine est en vacances chez son Papi et sa Mamie. La maison semble soudain immense. Immensément vide. Je rentre du travail et je m’assois sur le canapé. Pour une fois je peux allumer la télé, enfourner une pizza toute faite dans le micro-ondes et serrer très fort dans mes bras ma petite Crevette. Mon petit bébé est, le temps d’une soirée, fille unique. Je pose mes lèvres sur ses petites joues toutes douces et je l’entends rigoler aux éclats. Je la chatouille, je la gratouille, et la petite bête qui monte qui monte. Toujours son rire, discret et indompté à la fois, qui rebondit dans la maison désertée.

A la table du dîner, on est assis à nos places habituelles : O. en face de moi, la Crevette dans son transat à ma gauche. La chaise verte de la Sardine reste vide. O. et moi redécouvrons les repas où nous pouvons discuter, librement, pleinement. Sans couper la viande, sans répéter « goûte, mais goûte un peu avant de dire non ! », sans ramasser sous la table pâtes et morceaux de pain, et sans rappeler « non, tu restes à table tant qu’on n’a pas fini le plat ! » O. discute de sa journée, je lui raconte la mienne. Nous ne sommes pas d’accord, comme d’habitude, et nous sommes d’accord sur notre désaccord, comme à chaque fois. Parfois, notre discussion est ponctuée par un petit cri ou bien le « couic » de Sophie la Girafe échappée des petites mains pour la énième fois. Le soir n’est pas encore tombé et dans mes bras la petite Crevette pique du nez. Je l’accroche à mon sein et elle soupire d’aise. Il n’y a pas eu l’histoire du soir, là-haut, dans la chambre de la Sardine. Il n’y a pas eu les « un petit pipi avant de dormir ? » ni les « il est où doudou ? » et le biberon à la tétine éventrée qui tourne dans le micro-ondes. Il n’y a pas eu le dernier câlin, et le dernier bisou, et la chanson du dodo, et encore le dernier câlin et le dernier bisou. L’absence paraît soudain prendre toute la place. Alors je serre encore plus fort dans mes bras ma deuxième née, celle qui reste, celle que je pourrais aimer encore deux fois plus fort si jamais c’était seulement possible. La petite Crevette qui semblait s’endormir dans mes bras se réveille, sourit à son papa. Je lui dis « dis bon dodo à Baba ! » et je dis à O. « dis au-revoir au petit minou ! » Mais O. soupire, « oui, oui, c’est ça, au-revoir », en ajoutant, désabusé, « mais comme je vais la revoir dix fois cette nuit… » Le petit bébé s’endort dans la chambre à demie éclairée. Je retourne m’asseoir dans le canapé. Je regarde O. qui a déjà ouvert son ordinateur pour reprendre le boulot. Petit moment de répit avant les prochains réveils hurlants du bébé insomniaque.

La grande maison sans la Sardine ressemble un peu à ma vie en ce moment. Apaisée, heureuse, et en même temps terriblement vide. Comme s’il manquait quelque chose. Quelqu’un. Je reprends mes mille projets, ressors ma « to-do-list ». Mais je n’ai pas le temps de cocher le premier point qu’il est déjà l’heure d’aller se coucher. Monter le plus doucement les escaliers pour ne pas réveiller le petit bébé nerveux, mais finir par se relever, comme presque chaque soir, cinq minutes après avoir éteint la lumière, pour redescendre bercer la petite Crevette soudainement effrayée par le noir. Je berce. Debout, assise, allongée. Comment calmer la petite Crevette ? Je repose le bébé, fais rouler le lit à roulettes, et n’ose plus regarder l’heure sur le radio-réveille. C’est la nuit dans la grande maison. Je vais boire un verre d’eau dans la salle de bain. J’entends une voiture qui démarre. Et je remonte deux à deux les marches de l’escalier, sous le regard bienveillant de la veilleuse Miffy. Avec des gestes mécaniques je pose les lunettes, le téléphone sur la table de nuit et je rabats la couverture son mon cou. En attendant le prochain réveil. Tout à l’heure. Ou peut-être demain matin… Qui sait à quoi ressemblera cette nuit ? Je ne pense pas aux cases à cocher de ma to-do-list. Demain, on verra demain.

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