Mardi 6 mai 2014

Sans réseau

Si je n’avais pas ouvert un journal en ligne il y a quasiment 15 ans, je ne crois pas que j’en aurais ouvert un aujourd’hui. Il y a quinze ans, c’était un projet un peu fou, terriblement original, littéralement incroyable. Il y a 15 ans, certains de mes amis n’avaient pas encore Internet et il fallait entendre le téléphone chuinter puis haleter à coups de « bip bip ! » pour espérer pouvoir se connecter au réseau. Pour économiser ma connexion, j’ouvrais plusieurs pages de sites, puis je cliquais sur « Déconnecter » pour les lire hors ligne. Il y a 15 ans, seuls quelques happy few avaient l’idée de montrer à la terre entière une part de soi et de se raconter au fil des mots, sous des regards extérieurs.

Aujourd’hui, ouvrir un blog n’est plus tabou. C’est une pratique commune qui ne requiert plus de justification et qui se mélange à une demie douzaine d’autres pratiques en réseau. On invite ses « amis » et en un clic on envoie des fragments de soi à tous les coins du monde. Facebook-Twitter-Instagram-Link’in : tout ça à dire d’un seul souffle, à faire vivre dans le seul frôlement de son pouce sur l’écran lisse de son téléphone. On existe dans les mille reflets que l’on poste de soi, ici, là, partout. Image magnifiée souvent, image fragmentée toujours, image publique forcément. On n’existe plus tout seul, on est « en réseau », « connecté ». On fait quelque chose et, l’instant d’après, le cercle des « amis » est au courant de tout.

Je ne renie pas toutes ces pratiques actuelles. Bien au contraire, je m’y amuse souvent. Les nuits d’insomnie, lorsqu’il faut bercer le petit bébé dans le silence de la nuit, j’ai dans une main le téléphone qui s’active dans ma main. J’ouvre Pinterest ou Instagram, je regarde la vie des gens en images. J’entre des mots de passe, je décline des identités. Je suis ici, je suis là. Mais je suis souvent spectatrice, c’est vrai. Le spectacle du monde est sans fin. Je n’en finis pas de regarder la vie des autres par la lorgnette. Des centaines, des milliers de vies fragmentées, inachevées et « en cours de chargement ».

Mon journal en ligne aurait pu être transféré sur l’un ou plusieurs de ces réseaux sociaux. J’aurais pu me créer une identité ici ou là, poster d’un geste des « selfies » et les envoyer à un réseau qui, de liens en liens, aurait pu rapidement fructifier. A vrai dire, ce serait infiniment facile. En quelques minutes, je pourrais lâcher les mille et une images fragmentées de moi-même et les envoyer au monde entier. Fastoche.

Oui, mais non. Ce que je fais ici n’a rien à voir avec tout cela. Je ne cherche pas à générer à tout va des images immédiates et fragmentées de ma vie. Je me fiche d’être « connectée ». Je ne m’imagine pas avoir un supplément d’existence dans l’appartenance à un réseau toujours un peu plus attendu. Je n’ai pas envie d’être dans l’air du temps. Demain, peut-être, Facebook sera passé de mode et sera remplacé par un nouveau média. Mais demain, j’espère, ce journal aura toujours du sens à exister et j’aurai toujours du plaisir à le retrouver.

Toute la partie technique de gestion de ce site archaïque me pèse. Je suis bien consciente qu’il faudrait dépoussiérer ce vieux site en HTML, changer d’hébergeur, entrer dans un système de publication plus automatisé. Publier une entrée de ce journal me prend quasiment plus de temps aujourd’hui que de l’écrire, car tout est fait à la main. Cela me freine certainement dans la régularité de mon écriture. L’ampleur des tâches techniques à gérer m’épuise avant même de commencer à écrire. Mais je n’ai pas les connaissances techniques pour créer un nouveau site, ni l’envie réelle de m’y mettre. Ce que je souhaite, c’est continuer à avoir à bout de doigts toute cette vie que j’ai créée en mots. Pouvoir me souvenir, me relire, me revoir. D’un clic retrouver ce que je faisais à la même époque il y a dix ans, il y a cinq ans. Ce que j’aime aussi, c’est la fidélité des lecteurs qui me suivent depuis toutes ces années. Je suis bien cachée là, dans un tout petit coin de l’immense Internet, et là, presque en secret, des inconnus continuent de me lire et me sont ainsi familiers. Je me fiche de constituer un réseau, d’accroître un cercle, d’inviter des amis d’amis. Ce que je veux seulement c’est écrire et me souvenir. Pour moi et pour tous ceux qui veulent bien mener en secret un bout de route à mes côtés. Et partager à la construction de ma petite œuvre.

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