Bonsoir Fred ! Tu sais, quand on est triste, il y a toujours quelqu'un pour te dire des banalités grosses comme une maison. Par exemple quelque chose du genre : "c'est rien, ça passera avec le temps, le temps arrange tout". Au contraire, j'ai eu l'impression cette semaine que le temps faisait tout l'inverse : tout s'est aggravé avec le temps, comme si le temps était destructeur. J'ai commencé la semaine heureuse. Je la finis triste et déprimée. Je ne comprends pas bien ce qui s'est passé entre les deux. Tout doucement, jour après jour, tout s'est déchiré. Lundi, c'était l'euphorie. Les bras de mon Roméo tout nouveau autour de moi qui fondais sous la caresse de ses yeux, de ses mains, de ses lèvres. Mardi, dans les rues d'Evaville, j'avais encore un large sourire sur le visage, l'air un peu béat et illuminé. Je me disais : "mais arrête de sourire comme ça, Eva !", mais je continuais quand même, trouvant la vie si belle, malgré l'austérité du temps et de la ville. Mercredi, un violent et persistant mal de tête a commencé à atténuer les couleurs de ma nouveauté. Tout a commencé à devenir un peu plus pâle, un peu plus terne, un peu plus gris. Jeudi, j'ai retrouvé mes élèves, mon lycée, mes collègues. Je n'ai rien dit et j'ai souri lorsqu'on m'a demandé si j'avais passé un bon réveillon. Mais jeudi mon Roméo n'a pas appelé, et je me sentais seule derrière mon téléphone. Vendredi, mes poulpes ont été infernaux, me révélant quel piteux professeur je suis. Ce jour-là la réalité est devenue lointaine et incertaine, semblable aux sonorités entrant dans mes oreilles toujours affaiblies par cette maladie qui ne veut pas guérir. Et samedi... samedi, ma surdité confirmée par le médecin a accompagné le silence de mon Roméo qui m'a peut-être déjà oubliée, là-bas, loin d'ici, du côté de sa vie. Conclusion de la semaine : samedi je suis triste. Comment peut-on commencer des semaines si bien et les finir si mal ? Il reste mon petit hôte pour me consoler : Olga, mon petit chaton. C'est le nom donné par ses anciens maîtres. Finalement je vais peut-être l'appeler Hannah. Je veux que ce soit une chatte philosophe. Et Hannah, c'est toujours mieux que Simone ! La petite Hannah (c'est son nom aujourd'hui, mais peut-être lui en aurais-je trouvé un autre demain !) dort en ce moment. Mais figure toi qu'elle est spécialiste es-bétises. Elle a beau être toute noire, elle m'en fait voir de toutes les couleurs. Elle transforme mon appartement en champ de bataille - je ne compte plus les cadavres de plante que je trouve couchés au sol. Là voici par exemple avec l'une de ses victimes :
 Hier, elle a fait un vol plané, sautant sur la lampe en suspension au plafond et descendant en chute libre tout un étage. Tout est surprise et étonnement pour elle. Elle regarde tout, s'amuse de tout, essaye tout. Elle joue avec l'ordinateur, marchant allègrement sur le clavier. Ou bien m'accompagne presque jusque sous la douche, m'attendant patiemment derrière le rideau. Ce qui m'inquiète, ce sont les relations qu'elle entretient avec Friedrich II. Elles sont amicales, certes, mais peut-être un peu trop. Elle aime bien boire l'apéritif avec lui (elle boit l'eau de l'aquarium), et puis aussi à l'occasion, lorsque je ne regarde pas, lui serrer la patte. Mais elle oublie qu'elle a des griffes au bout de ses petites pattes. La voici en pleine discussion philosophique avec l'empereur des poissons rouges : Voilà Fred, Hannah, Friedrich et moi, on te souhaite une bonne nuit ! A bientôt.
Eva.
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