14 janvier 2000

Bonsoir Fred,

Hier soir, il y avait réunion des parents d'élèves au lycée. J'étais un peu anxieuse à l'idée de me retrouver devant des gens ayant l'âge d'être mes parents et d'avoir à leur parler de leur gamin comme si je possédais un certain savoir et un certain pouvoir sur eux. En vérité, dès que les parents se sont présentés à moi, la situation s'est d'emblée inversée : c'était eux qui étaient intimidés devant moi ! Il y avait des parents qui ne disaient pas un mot, m'écoutant attentivement, n'osant poser aucune question. C'était étrange de me sentir dans une telle position de supériorité, par rapport à des gens plus âgés que moi, plus expérimentés, et qui devaient en savoir mille fois plus que moi sur la vie en général. Parce que j'étais de l'autre côté du bureau, parce que je parlais bien, et surtout parce que j'étais pour eux la figure du savoir, je sentais dans leur regard ou dans leurs paroles hésitantes un respect auquel je ne suis pas habituée. Je me suis sentie tout d'un coup importante. Aux yeux de ces parents écoutant mes conseils, j'avais une place dans la société, une position élevée dans la hiérarchie sociale. J'ai rarement cette vision de moi-même, moi, avec mes doutes et mes incertitudes. A part peut-être lorsque je marche dans les couloirs du lycée, avec le beau cartable en cuir noir que je viens d'acquérir et qui symbolise à lui tout seul l'autorité. Ou lorsqu'à la cantine un élève me laisse passer devant lui parce qu'enfin "c'est un professeur". Ou bien lorsque je dis à des personnes que je rencontre pour la première fois que je suis professeur, et qu'un grand blanc apparaît en réponse.

Et pourtant il y a tant d'écart entre l'image extérieure que ma position impose aux autres et que les autres ont de moi et l'image intérieure, intime, qui accompagne la représentation que j'ai de moi-même. Comme si mon apparence mentait sur ma réalité.

Eva.

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