16 février 2000

Je ne crois pas à l'inspiration. Les Muses qui viennent doucement murmurer à l'oreille du poète abandonné un soir de pleine lune solitaire pour insuffler une nouvelle vie à celle de ses mots endormis... tout cela n'est qu'un mythe inventé par des écrivains trop riches qui ne savaient que faire de leur inspiration justement. Dans le travail de l'écriture, je ne crois pas à la génération spontanée. Les mots ne fleurissent pas de nulle part, dans l'obscurité d'un jardin sans soleil et sans eau. Pour laisser éclater les mots en bouton il ne faut pas seulement les arroser chaque jour. Il faut venir à leur rencontre, leur parler, et surtout les écouter. Ecrire, c'est d'abord savoir écouter. Ecouter ce qui n'a pas de voix pour venir à l'expression afin justement de pouvoir lui donner enfin la parole.

Mais cette écoute est très fragile. Il suffit de presque rien pour venir rompre son équilibre et recouvrir son silence. Lorsque je n'écris pas, ce n'est pas parce que je n'ai pas d'inspiration, mais plutôt parce que je n'entends plus de mots en moi, parce qu'il n'y a plus de voix, parce que ma vie n'est plus accompagnée par le fil conducteur d'une parole qui jaillit de moi-même pour s'écrire comme par elle-même. Pour briser cette voix, il suffit parfois de parler seulement un peu plus fort, ou bien de déplacer quelques ombres. Un lieu différent autour de moi, des visages couvrant ma solitude, et voilà déjà que les mots se perdent en moi et ne parviennent plus à jaillir à la surface de l'écran. Je ne peux pas écrire si je ne suis pas seule. Les mots se paralysent au bout de mes doigts. J'ai du mal à dormir avec une personne à côté de moi, tant ses rêves me semblent respirer trop fort et me rappeler l'impossibilité de percer leurs secrets. C'est un peu la même chose avec l'écriture : je n'arrive pas à écrire avec des gens autour de moi tant leurs pensées résonnant trop fort en moi m'empêchent de retrouver mes propres idées. Les mots se perdent à la superficie des relations sociales lorsque je ne leur laisse pas la chance de se retrouver tous seuls.

Voilà pourquoi parfois je n'écris pas, Fred. "C'est pas ma faute", comme diraient mes poulpes...

Eva.

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