Quand je l'ai vu dans la salle des profs, je me suis tout de suite levée, abandonnant mon gobelet en plastique encore rempli de café, et ne pensant même pas à dire au-revoir à ma collègue d'anglais qui, prise de pitié pour moi, faisait tout depuis une dizaine de minutes pour me détendre et me faire penser à autre chose en me racontant les bêtises félines des frère et soeur d'Hannah, histoire . Il m'a serré la main : "
Bonjour, Mademoiselle Eva Fredette, je suis le Monsieur au Costume et à la Cravate qui suis chargé de vous inspecter."
Lorsque je suis entrée dans la classe, mes jambes tremblaient un petit peu. Pendant les cinq premières minutes j'avais complètement oublié les noms de mes élèves. Et je n'ai même pas entendu la sonnerie commençant le cours. Mais peu à peu, j'ai réussi à oublier le Monsieur A La Cravate et je n'ai plus bafouillé. Je me suis trouvée à ma place sur l'estrade, bougeant parfois entre les rangs, posant des questions et ne donnant la parole qu'à ceux qui levaient le doigt. Mais la surprise est venue de mes Poulpes. Je savais que c'était eux qui détermineraient tout. Et figure toi qu'ils ont été de vrais anges : pour la première fois peut-être, ils n'ont pas bavardé intempestivement, et même les plus faibles et les plus récalcitrants ont fait des efforts pour participer. A un moment donné cependant, une élève n'a pas été d'accord avec ce que je disais. Elle l'a dit, insistant et faisant des objections. Mais elle rougissait un petit peu, comme gênée de m'asticoter le jour du Monsieur A La Cravate. Sa copine la poussait du coude lui faisant de gros yeux, en ayant l'air de dire qu'elle exagérait de faire ça à la prof ce jour là justement. Mais la prof a su répondre et l'élève rebelle a repris son stylo pour prendre en note sa réponse.
Après l'heure de cours et l'heure d'entretien qui suivait, je suis retournée dans la salle des profs. Tout le monde est venu vers moi : "Alors ?" Il y a une certaine solidarité chez les professeurs, chacun sachant quelle épreuve constitue la visite d'un Monsieur A La Cravate pour l'avoir vécue au moins une fois. Avant de répondre j'ai souri et je me suis jetée sur un fauteuil, évacuant dans un soupir toute cette tension qui s'était accumulée depuis quelques jours, depuis ce matin où on m'avait prévenu de cette visite. J'ai souri et j'ai répondu sobrement : "Plutôt bien !"
J'espère que ça va être bientôt le retour du printemps du côté d'Evaville... Peut-être bien que ce sont les Monsieurs Aux Cravattes qui apportent les beaux jours.
Eva.