J'ai naturellement la peau très blanche, mais l'été venant mes copines sont généralement vertes de jalousie lorsqu'elles me voient, car à côté de leur peau rougie par un méchant coup de soleil, j'ai toujours un teint hâlé et doré. Ce qu'elles ne savent pas, c'est que j'ai une efficace technique pour que le soleil se couche aussi délicatement sur ma peau sans jamais pourtant l'agresser. Allez, je peux t'avouer mon secret de beauté ! En fait, c'est tout simple : il suffit de se familiariser tout doucement avec les rayons de soleil, marcher vers lui sur la pointe des pieds afin de ne pas le brusquer, et surtout se présenter très tôt à lui, pour l'habituer à notre présence. Concrètement, il s'agit, dès les premiers rayons du printemps, de s'exposer timidement à la chaleur naissante du soleil, et tourner autour de lui sans en avoir l'air, légèrement vêtue afin de mieux malgré tout attirer ses regards. Habituellement, le soleil aime ces séductions précoces et s'empresse de sourire sur les peaux encore vierges et blanches. Courir après le soleil est pour la jeune ingénue un jeu bien agréable : il s'agit de danser devant chaque nouveau rayon fleuri, dénudant à chaque fois un peu plus de sa peau pour mieux ainsi la colorer. Ce matin, les premiers rayons printaniers entraient dans mon appartement. Je me suis dite que c'était le moment idéal pour commencer à séduire le soleil. J'ai mis un petit tee-shirt sans manche, ai ouvert toute grande ma fenêtre et me suis installée par terre dans le salon, sur un coussin, avec un bon livre. Mais ma peau commençait à peine à se réchauffer sous la haleur du soleil que j'ai vu Hannah arrivée d'un pas joyeux et décidé. Elle avait cette démarche désinvolte, le museau en l'air, la queue à la verticale et le pas balancé, qu'elle prend généralement lorsqu'elle va faire une bêtise. Elle a regardé la fenêtre ouverte. J'ai vu ces petites narines bouger sous la sensation du léger vent qui entrait et venait l'attirer. Elle a miaulé et sauté d'un bond sur le rebord de la fenêtre. Déjà presque la moitié de son corps était dehors lorsque je me suis précipitée pour la récupérer. On a recommencé une bonne vingtaine de fois ce petit jeu - elle rusant pour sortir à l'extérieur, et moi bondissant jusqu'à elle pour l'empêcher de jouer les funambules intrépides dans leur dernier geste fatal. A bout, j'ai fini par fermer la fenêtre et remettre un pull, abandonnant tout projet de bain de soleil. C'est vrai que je comprends la frustration de mon chaton. Depuis qu'elle est avec moi, elle n'est pas sortie une seule fois, si ce n'est dans un panier pour faire le chemin de chez moi à la gare - ce qui à ses yeux est une bien piètre aventure. Mais la ville est bien trop grande pour elle. J'ai hâte de lui montrer la campagne - lui faire voir combien il est agréable de courir dans les champs, de se coucher dans l'herbe coupée, le nez dans les fleurs, de regarder les nuages blancs dans le ciel et de leur inventer des formes nouvelles, d'observer les fourmis et de les suivre une à une dans leur labeur, tandis que soi-même on est tout entier dans la paresse la plus profonde. J'ai hâte que soit revenu la légèreté de l'été ensoleillé dans un nonchalant sommeil.
Eva.
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