18 avril 2000

Miaou !

Faut pas pousser. Moi je vais écrire à la S.P.A., à Brigitte Bardot, à Greenpeace, au Premier Ministre s'il le faut. Le motif de ma colère est multiple, mais non moins légitime :

- Abandon
- Mauvais traitements et persécutions
- Diffamations, voire blasphémations.

Et la responsable de tous ces homicides, c'est Eva. Oui, Eva. Je l'ose l'avouer bien haut devant vous tous. Et ne dites pas que je suis une taupe et que je vends ma mère nourricière. Non, car c'est elle qui m'a trahie, d'une façon tout à fait lâche et bien peu ragoûtante. Les vacances débarquant à peine, voilà que Mademoiselle me dit : "bon, Hannah, tu vas arrêter de me traîner dans les pattes, j'veux pas de toi là où je vais. J'veux pas d'un chat qui jouera du trampoline nocturne sur le ventre de mes copains et qui se prendra pour un chasseur de mouettes et de goélands." Quoi ? Bon, c'est vrai, Eva, elle parle pas comme ça. Mais la façon dont elle a dit cette pitoyable vérité est beaucoup plus insidieuse et rouée. Maîtresse a pris un large sourire. Un de ces sourires où le bord supérieur des lèvres semble vouloir attraper les oreilles. Elle m'a caressé sous le menton, comme elle sait que j'adore. Puis, elle a adopté sa voix douce et tendre. Une voix qu'elle n'offre habituellement qu'à un Roméo. Et elle m'a susurré dans le creux de mon triangle d'oreille : "Mon joli chaton adoré [quand je vous dis que la Petite est sournoise : elle sait comment mieux faire entrer le couteau dans la peau !], je t'aime beaucoup, mais parce que je t'aime je dois te laisser quelques tout petits jours. Là où je vais, on n'aime pas les petits chats, si magnifiques et si adorables soient-ils, et tu serais malheureuse si je t'emmenais avec moi. Alors je vais te confier à des gens très très gentils [c'est toujours louche quand on insiste comme ça sur les superlatifs] qui vont te combler de caresses et prendre soin de toi."

Oh rage ! Oh désespoir ! Oh malheur de mes jours ! Oh désastre de ma vie ! Ces "gens très très gentils", ce sont ceux qui ne voulaient absolument pas de moi avant même que je sois au monde : Evapapa et Evamaman. De vrais monstres, je vous dis ! Ce monsieur et cette dame ne veulent pas comprendre que j'ai besoin d'un bon quart d'heure quotidien pour décompresser du stress accumulé dans la journée. De longues minutes où je peux enfin me défouler pour éliminer toutes les ondes négatives. Lorsque je suis en pleine séance de dé-stressage et que je danse sur les tables ou me lance dans des sprints dans le couloir, je me fais traiter de "folle, timbrée, ou givrée", selon l'humeur, ou bien je reçois des menaces ("si tu sautes sur le lustre en verre du salon, je me débarrasse de toi !") ou des moqueries ("ah tu veux t'amuser dans les fils de la télévision ? eh bien tant pis si tu t'électrocutes !"). Pire, ils m'ont même infligé des châtiments corporels : une fessé - tout ça, juste parce que je voulais me promener entre les vases en Sèvres et voir si le beau tableau d'un petit maître du XIXème siècle au-dessus de ces vases était agréable au toucher de mes griffes. Et je ne compte pas les heures entières que j'ai dû passer à miauler devant la porte parce qu'on ne voulait pas m'ouvrir la porte, sous prétexte que j'allais encore n'en faire "qu'à ma tête".

Vous pensez pas que toutes ces souffrances sont une cause de rébellion ? Heureusement, Evapapa et Evamaman se sont chargés de punir ma méchante maîtresse. Pas par un coup de griffe ou une petite morsure comme j'aurais pu le faire moi. Mais par cette capacité qu'ont les Deux-Pattes de blesser avec le seul pouvoir de leurs mots. "Tu ne sais pas élever ton chat. Ah, ce sera beau quand tu auras des enfants !", qu'ils lui ont dit. Mais bon, ça l'a fait sourire. Elle m'a confié plus tard qu'elle en avait entendu déjà pas mal de phrases de ce genre, en plus de vingt ans de cohabitation avec eux.

Alors finalement, vous pensez que je dois l'envoyer cette lettre à la S.P.A. ?

Hannah.

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