Depuis deux jours, je me sens désoeuvrée. Je connais bien ce sentiment. Il
naît toujours en moi à peu près à la même période, lorsque justement c'est
une longue période qui se referme. Cette année, il arrive bien tôt. Nous
sommes à peine au mois de mai, et déjà le sentiment de la fin me semble si
proche. C'est terrible la fin d'une année scolaire. Certes, il y a
l'excitation des vacances et le soulagement devant des contraintes qui
s'évanouissent : c'est la légèreté de l'été qui soudain s'affirme. Mais à
côté de cet espoir, il y a la tristesse. La tristesse d'une année qu'on
laisse derrière soi - d'une année qui s'en va avec les lieux qu'elle a
traversés et les visages qu'elle a croisés ou accueillis.
Ca m'est tombé l'autre jour dans la salle des profs, lorsque je parlais du
seul sujet qui est sur toutes les lèvres (ou du moins sur une majorité de
profs jeunes) en ce moment : les mutations. C'est depuis quelques jours
qu'on sait si on reste ou pas dans l'académie et que l'on a à formuler des
voeux plus précis au sein de cette académie. Il se trouve que moi je reste
ici. Ce n'est pas vraiment un coup de chance, c'est que c'est une académie
peu demandée (et ça n'a rien d'étonnant car on en a vite fait le tour). Mais
il y a beaucoup de nouveaux profs qui s'en vont - et la plupart du temps
sans l'avoir choisi, comme ce jeune prof de sport qui n'avait jamais quitté
sa province natale et qui va se retrouver parachuté à Créteil. Si je reste
dans l'académie, j'ai cependant peu de chances d'avoir un poste à Evaville.
Alors, histoire d'être prête à tout, j'essaie d'imaginer ce qui m'attend :
Trifouilli-sur-Evafleuve, cette petite ville d'à peine 10 000 habitants en
pleine campagne, ou bien ce lycée classé en zone sensible au nord
d'Evaville. Rien de tout cela ne me fait sauter de joie. Et l'idée d'avoir
encore une fois à tout quitter et à tout recommencer depuis le début ne
m'enthousiasme pas plus que cela. C'est de nouveau l'inconnu qui revient.
La fin de ce connu péniblement construit depuis quelques mois et que déjà je
vois partir en fins débris. Tout quitter encore une fois. Et sans savoir
encore une fois qui m'attendra, ou justement ne m'attendra pas, dans cette
nouvelle portion de vie. J'aime bien le changement, mais tout de même, ce
serait moins difficile si j'avais quelque chose d'inaliénable qui me
servirait de repère.
Hier, à cette soirée qui réunissait mes amis de l'école des profs, j'étais
un peu triste. Car lorsqu'on se disait qu'on allait bientôt se revoir et se
retrouver pour un bon dîner, je savais bien que c'était peut-être la
dernière fois malgré tout qu'on était tous réunis. Car bientôt on sera tous
loin les uns des autres.
Décidément, j'ai toujours du mal à tourner les pages.
Eva.