5 juin 2000

Ma maîtresse n'est pas bien ordonnée. Ou plutôt elle ne choisit d'être ordonnée que pour les trucs qui la bottent. Alors toutes ses notes, tous ses cours, et tous ses autres papiers compliqués auxquels je pige rien sont bien classés, selon un ordre si rigoureux qu'elle peut mettre des heures à tout ranger dans les dossiers qui conviennent. Moi, pour lui montrer qu'elle en fait trop et que ça sert à rien que toutes choses aient ainsi une place, puisque cette place qu'elle leur assigne est arbitraire... eh bien pour lui faire comprendre cette vérité qu'elle ne veut pas se mettre en tête, je m'amuse à faire des glissades sur ses feuilles, prenant bien mon élan, pour froisser toutes ces pages d'écriture. Elle est maniaque, Eva. Elle s'imagine qu'il y aura de l'ordre dans sa tête parce qu'il y a de l'ordre autour d'elle. Elle se persuade que les êtres pourront suivre son ordre et qu'elle aura ainsi une prise sur eux. Elle se prend pour un démiurge, décidant d'un geste de la place qui doit revenir à chaque objet. Comme si elle avait un quelconque pouvoir sur les choses. Mais l'ordre poussé à ce point n'est que désordre, parce qu'il est bien trop personnel, bien trop compliqué pour être en quelque façon normatif.

Mais moi, je m'en fous de l'ordre qu'il peut y avoir dans ses bouquins. Moi, ce qui m'intéresse, c'est manger. Si je n'ai pas ma dose de croquettes quotidiennes, je suis de mauvaise humeur toute la journée. Hé bien, sur ce plan là - le plan pratique et bien concret - ma petite demoiselle laisse les choses se faire toutes seules. C'est-à-dire que la plupart du temps elles ne se font pas. Les assiettes sales s'entassent dans l'évier, formant à la fin de la semaine une pile qui parfois monte si haut dans les airs qu'elle en perd l'équilibre ; la poile n'est jamais récurée (si ce n'est par ma petite langue râpeuse) ; la poubelle manque d'exploser chaque jour un peu plus, dégageant une odeur si nauséabonde que je n'ose m'en approcher ; le frigo est éternellement vide, la bouteille de lait caillé et les oeufs pourris en ayant eu marre de se battre en duel se sont fait la malle. Et je ne parle pas du four qu'est jamais nettoyé. Et des poils de chat qui sont même pas ramassés sur le tapis. Et des primevères au balcon qui tournent complètement de l'oeil...

Soupir...

J'aide parfois ma maîtresse, plus par pitié que par réel dévouement. Je fais la vaisselle (comme on le voit ci-dessus sur la photo), ou je me sers moi-même ma nourriture (de préférence à cinq heures du matin, quand Mademoiselle dort). Mais je ne peux pas grand chose : je ne suis qu'un chat. J'arrive tout au plus à lui rappeler les priorités de l'existence (manger - dormir) quand elle a la tête plongée dans ses petites affaires. L'ordre ménager ne l'intéresse pas (c'est ce qu'elle me dit). Ces nourritures terrestres ne sont pas pour elle, comme si elle était un pur esprit. Mais son pur esprit se perd en Bohème, et ce n'est pas la bohème qui va nourrir son homme. Et puis d'abord, elle n'a pas d'homme ! Si c'est pas lié, tout ça ! Moi, chatte d'intérieur savante, je sais bien ce que ces matous attendent. Mais s'ils vont chez ma maîtresse, ils peuvent toujours attendre...

A moins que ce soit elle qui attende, finalement...

Hannah.

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