Bonjour Fred ! Oui, tu vois, pour la première fois, je dis bonjour, car c'est encore le jour et c'est même le début du jour. Je ne suis pas absolument sûre que me coller devant mon ordinateur à peine sortie du lit soit la meilleure façon de commencer une journée constructive et intéressante, qui me sortirait du marasme dans lequel je baigne depuis une semaine... Mais il faut que je te prouve deux choses : tout d'abord que j'arrive moi-même à mettre en ligne des pages, et ensuite que je sais parler d'autre chose que de ma paresse.
Car il me faut répondre à tes interrogations philosophiques de l'autre jour.Tu as demandé le Docteur Eva. Me voici !
Tu voulais savoir ce qu'est ce truc bizarre qu'on appelle hasard et qui fait se rencontrer, hors de toute logique apparente, des personnes qui n'étaient pas faites pour se rencontrer, ou se réaliser des événements qui paraissaient ne pas devoir arriver. Moi je n'ai pas la réponse. Tu sais j'ai pas vécu beaucoup et je n'ai pas ta longue expérience (ouh là là je suis vache là, pardon ça m'a échappé !!), mais j'ai des copains qui ont pensé pour moi. L'un de ces copains s'appelle Aristote. C'est un Grec et là bas, dans son pays d'oliviers et d'orangers, il a écrit de grandes choses. L'une de ces choses, c'est une petite histoire que je vais te raconter, en l'adaptant un peu, pour la rendre plus vivante. (Mais je te préviens que toute ressemblance avec des personnages existants ou ayant existé est purement fortuite).
C'est donc l'histoire d'Eva qui un jour se promène, comme ça, par hasard, dans Paris. Pour être plus précis, disons qu'elle marche dans un jardin. Tiens, au hasard, choisissons le Luxembourg. Elle n'a rien à faire de précis au Luxembourg. Elle flane. Elle ne pense à rien. Pas même à Fred qui pourtant lui doit de l'argent, car vas donc savoir pourquoi le coquin n'a pas payé ses dettes. Donc Eva rêve dans les allées du jardin, profitant du soleil estival. Et là, je te le donne en mille, sur qui tombe-t-elle ? Fred !! Fred est tout gêné, car Eva est la seule personne qu'il ne voulait pas voir, et du coup, face à elle, il se sent bien obligé de rembourser la dette qu'il a contractée auprès d'elle. Fred l'a dans le baba. C'est là que, de derrière un grand chêne (désolée je n'ai pas encore trouvé d'oliviers à Paris), surgit le copain Aristote. "Tuchê !" s'exclame-t-il. Pour les non-hellénistes, je signale que tuchê est un mot grec qui signifie hasard. Car c'est ça le hasard : un événement qui se produit par accident, d'une façon totalement indéterminée, et apparemment sans véritable cause, et qui pourtant semble doué de sens, comme s'il se réalisait en vue d'une certaine fin. En effet, Eva n'est pas allée au Luxembourg avec l'intention particulière de récupérer l'argent que lui devait Fred. D'ailleurs Eva ne va pas si souvent que ça dans ce jardin, et rien ne l'obligeait à y aller ce jour là, à cette heure là. La fin de son action - le recouvrement de la dette - ne fait pas partie des causes de l'action même, puisque Eva était partie se promener pour une toute autre raison. Mais c'est une "décision opportune", dit Aristote, conforme malgré tout à un certain projet, qui a fait rencontrer le chemin d'Eva avec celui de Fred. Le hasard, comme l'entend notre Grec, c'est donc la fortune qui simule la finalité : la cause tout à fait accidentelle et indéterminée qui pourtant fait partie des choses en vue d'une fin elle-même conforme à notre choix. Le hasard est l'ensemble des événements qui se produisent en dehors de toute détermination d'un choix volontaire, et qui pourtant une fois réalisés apparaissent pleinement en adéquation avec ce qu'on aurait voulu, comme si ça avait un sens... alors que manifestement ça n'en a pas.
Eh ho, Fred ??? Toujours là ? Ou ai-je définitivement perdu mon seul lecteur ? Quoi tu te demandes pourquoi je parle d'un Fred endetté et tu cherches ce que tu peux bien me devoir... Mais non, ne te prends pas la tête avec ça : j'ai choisi cet exemple au hasard ! Enfin, plus exactement, je l'ai piqué à Aristote. Si tu ne me crois pas, va voir dans son bouquin à lui - ça s'appelle la Physique, et c'est au livre II, chapitre 5.
C'était le quart d'heure théorique de ma leçon philosophique sur le hasard. Maintenant, appliquons-le à notre situation. Tu te demandais si c'est le hasard qui fait que depuis quelques mois déjà nous n'arrêtons pas de rencontrer des Fred - morts, vivants, virtuels, statufiés, ou autre. Oui, c'est le hasard. Un Grec te dirait : cherche là dessous un sens, lis-y un signe caché, voire un message des dieux. Mais moi, je vis au XXème siècle, bientôt au XXIème même, et je sais que le monde dans lequel nous vivons est absurde et insensé. Alors je dirais qu'il y a peut-être hasard, mais que c'est nous qui transformons ce hasard en destin. C'est nous qui lisons des signes là où il n'y en a peut-être pas. C'est comme lorsque tu regardes le ciel : par un ciel étoilé d'été, tu as l'impression de voir une grande ourse, une petite casserole, et d'autres trucs de ce genre. Mais c'est toi qui relies les étoiles entre elles et interprète le chaos de leur disposition comme un ordre doué de sens. Peut-être que personne n'a voulu que le ciel soit ainsi imagé. S'il y a un dieu, il est certain qu'il ne doit pas penser en images. Donc c'est toi qui imagines des liens entre les événements qui t'arrivent. Avant Eva, tu rencontrais certainement des tas de Fred, mais tu ne relevais pas le fait, tu n'essayais pas d'y trouver un sens. Maintenant, depuis que tu connais Eva, tu fais attention à des choses auxquelles tu n'avais même pas songé jusqu'ici.
Je me trompe ?
Je crois que j'ai signé l'arrêt de mort de notre site avec mes réflexions philosophiques. Mais c'est de ta faute aussi ! Tu me provoques ! Et puis, tu vois bien qu'écrire le matin me réussit un peu mieux. Faut-il que je recommence ?
@ bientôt, Fred !
Eva.
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