20 septembre 1999

Fred,

Allez, je peux bien te raconter mon histoire, à toi aussi et à tous les autres, puisque j'ai ennuyé avec ça tous les gens que j'ai pu rencontrer aujourd'hui. Enfin, tu l'as connais un peu cette histoire - c'est celle que je traîne depuis tout juste vingt jours maintenant. C'est celle qui me m'enferme au sein d'un système complexe contre lequel je ne peux rien faire.

Bon, c'est compliqué, mais je vais essayer d'être claire. J'aimerais dire même claire et logique. Car si d'autres que moi voulaient eux aussi être logiques, je ne serais pas dans cette situation.

Etudions donc les faits tels qu'ils se présentent :
- il y a, dans les lycées de la région d'Evaville, des professeurs qui depuis la rentrée n'ont pas d'élèves et qui attendent patiemment qu'on veuille bien leur en confier, ce qui leur permettrait de se rendre compte qu'ils ne sont pas purement et simplement inutiles - ce dont ils doutent depuis trois semaines ;
- il y a, dans mon lycée, un professeur dont on oblige à faire des heures supplémentaires dans une autre ville, dans un autre lycée que celui où il fait la quasi totalité de son service ;
- et il y a moi, professeur débutant, sensée avoir seulement une classe en charge, mais à qui on a décidé d'imposer une autre classe, et une classe de gaillards difficiles, peu enclins à la beauté des lettres et à la profondeur des idées.

Voilà la situation : des profs sans élèves d'un côté, et des profs avec trop d'élèves de l'autre. Alors toi, tu ferais quoi dans ce cas ? Tu adopterais sûrement la position équitable qui consiste à donner à chacun ce qui lui revient, n'est-ce pas ? Tu m'éviterais d'aller tous les deux jours dans le bureau du proviseur pour demander ce qu'ont bien voulu faire de mon sort les poulpes d'en haut (plus haut encore que le directeur, poulpe en chef de l'établissement). Tu ne m'appelerais pas pour me dire que finalement j'ai un cours à donner dans quarante-cinq minutes. Tu ne ferais pas tout ça, n'est-ce pas ?

Mon sort est entre des mains puissantes contre lesquelles je ne peux pas faire grand chose, sinon résister, parce que je pense être dans mon droit. On me dit : "ne cède pas, Eva !" D'accord, mais jusqu'à quand j'accepterai d'attendre que d'autres que moi décident de mon avenir ?

Eva.


Hello Eva,

Ca y est, je suis revenu de "ma campagne"... qui n'est plus la mienne depuis fort longtemps il est vrai ; et j'ai fait plein de choses, sauf ce que je t'avais promis de faire : envoyer la première page de notre site depuis ailleurs...
Ben oui, tu sais, j'ai retrouvé la famille, mes parents, mes soeurs et leurs bambins et fait du hasard, leurs maris respectifs étaient occupés ailleurs, ce qui ne nous était jamais arrivés depuis des tas d'années ; comme un retour en arrière mais avec six petits-enfants en plus... drôle d'impression.

Ce fût à moi, cette fois-ci de montrer à mon cher papa à quoi pouvait bien servir ce réseau, que nous connaissons si bien maintenant... mais de temps pour écrire quelques petites lignes : point !!!

Et en arrivant hier soir, toutes tes questions sur ce Paris qui te manque un peu, moi qui revenait de là-bas...

D'abord le Luxembourg : j'y ai bien pensé en passant devant à toute vitesse vendredi soir, mais l'heure n'était pas trop à la poésie ou aux souvenirs de ces mercredis de printemps lorsque nous nous y sommes croisés. Tu te souviens ? Ce journal n'existait pas encore !!!
C'était juste avant cette belle gamelle en descendant la rue Claude Bernard faute d'un freinage en T mal maitrîsé, bilan : les fesses en compotes et un coude tout ébréché, ça m'apprendra, la prochaine fois, je mets toutes mes protections... Heureusement pour moi qu'il restait moins d'un kilomètre !

Juste avant, on avait remonté toute la rue de Vaugirard !!! Tu connais ce coin de Paris, non ?

Par contre pour le métro, j'ai des souvenirs plus récents et moins cuisants : j'aime bien les odeurs si particulières de ses couloirs, j'aime bien aussi y voir tous ces gens pressés, s'agglutiner dans ses escaliers, se ruer sur les trottoirs, mais je les trouve toujours pareils ces gens, jamais souriants, seuls dans leur voyage alors qu'ils vont tous dans la même direction, toujours prêts à raler parce que ceci, parce que celà, comme s'ils allaient tous au même enterrement sans savoir que c'est le leur, tellement ils semblent tristes. J'aimerais que toutes ces personnes aient envie un jour de se sourire ou de rire ensemble, sans même se connaître, ou de s'aider, tu te souviens comme c'est le cas quand en plein hiver, il arrive que la ville soit paralysée par le gel du métro pour toute sorte de bonne ou de mauvaise raison...

Mais aujourd'hui, si ce n'est pas encore l'hiver, ce n'est déjà plus l'été, et la ville a quitté ses tons vacances pour retrouver le ton boulot.

Tu vois, même moi, je reprends le métro : 9 heures, 17 heures, c'est te dire si l'ambiance est studieuse !!!

Mais, je te raconterai ça plus tard, je vais faire mes devoirs... et hop : dodo !!!

A bientôt,
Fred,

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