Bonsoir Fred,
Me revoici de retour. Je me suis octroyée un petit week-end de retour aux sources. La perspective d'agonir toute seule, dans une ville où je ne connais pas grand monde, ne me réjouissait pas vraiment. Alors j'ai préféré mourir bien au chaud, en famille. De toute façon, moribonde ou pas, j'étais bien décidée à retourner passer quelques jours chez mes parents, après plus d'un mois d'exil. Bon, je te rassure, puisque tu te soucies de ma santé, ça va mieux. Je ne tousse presque plus. Même si vendredi, c'était horrible : j'ai donné trois heures de cours (d'affilée) dans un état semi-comateux. Je ne sais pas comment j'ai fait pour ne pas m'évanouir...
Après deux jours de sieste, je suis enfin sortie de mon lit, et j'ai pris un autre train jusqu'à Paris. Même si c'était court (une après-midi et une nuit), j'ai enfin retrouvé ma chère petite ville. J'ai fait un véritable pélerinage. Montparnasse et son long couloir. Il est affreux ce couloir avec ce tapis roulant qui n'en finit pas (as-tu jamais eu le courage de rester debout sur le tapis, sans marcher, en te laissant glisser tout doucement ? Moi, je n'ai jamais réussi à avoir cette patience !). Mais sur les murs, il y a pleins d'affiches. Et ça me manquait de ne plus avoir des affiches de spectacles et de publicité à déchiffrer. Et puis après Odéon. Et la tournée de mes librairies préférées (car pour trouver le livre que tu recherches à Evaville...). Et puis la fac. Cela m'a fait drôle de retourner dans cette grande institution. Il me semblait ne pas l'avoir quitté, tout était resté à la même place. Chaque couloir portait encore un de mes souvenirs étudiants. Et en même temps, tout était si loin. Quand j'ai vu tous ces étudiants qui faisaient la queue pour leurs inscriptions, je me suis sentie si différente d'eux. Je me suis aperçue qu'en fait je ne voulais plus être étudiante.
Ensuite, j'avais rendez-vous dans notre petit café. Un bistrot derrière le Luxembourg, du côté du Panthéon, où mes amis et moi avons fait de grandes découvertes (c'est là que nous avons médité sur la conception spinoziste de la vérité pour la première fois, par exemple !). J'étais contente de retrouver mes amis, après tout un été de séparation. Et en même temps, c'était comme les murs de la fac : tout était identique... et pourtant tout paraissait si loin. Ma vie n'est plus là leur. Ils m'ont tous dit : "Mais comme tu as changé, Eva ! Où est la fille tourmentée qu'on a laissé en juin ? Où sont tes anciennes angoisses ? Ton visage est resplandissant !"
C'est bizarre, tout le monde (enfin, tout le monde d'avant Evaville) me dit ça, depuis quelques semaines. J'ai changé. Moi-même, je m'en étonne chaque jour. Je ne me reconnais plus. Je suis devenue quelqu'un d'autre en devenant moi-même. Je n'aurais jamais imaginé que trois semaines d'enseignement m'en apprendraient plus sur moi-même que trois ans d'université. J'ai découvert que j'étais capable de faire des choses que je croyais auparavant impossibles. Jusqu'où vais-je ainsi me transformer ?
Eva.
P.S. : Quoi, quoi ?? Un cadeau pour moi ? C'est quoi ???