Philosophie féline



pour m'écrire

































































hier demain
Samedi 10 février 2001

- Hannah ! Arrête un peu de manger, veux-tu ?
- Pourquoi j'arrêterais ? J'ai faim, moi !
- Tu arrêteras parce que je te le demande. Tu dois m'obéir !
- Ah ! Si j'avais pas peur de mal digérer mon délicieux pâté au saumon, j'éclaterais de rire ! Depuis quand on t'obéit, toi ?
- Très drôle ! Mais ne change pas la conversation : il n'est pas question ici de mon autorité (réelle, quoi que tu puisses en penser), mais de ton obésité future. Tout le monde t'a entendu manger goulûment l'autre jour. Et si les gens savaient que tu ingurgites ainsi des tonnes de croquettes cinq fois par jour, ils seraient effrayés ! Quand donc seras-tu raisonnable ? Si tu continues ainsi, voilà très exactement comment tu vas devenir: énorme, comme sur la photo !
- Et alors ? Au moins, je pourrai me vanter d'être une chatte originale. De toute façon, tu ne comprends rien à la vie, pauvre nouille ! Ce qui compte, c'est pas d'être raisonnable, mais c'est le plaisir que l'on prend en désobéissant justement à la raison ! C'est en cherchant à décupler la jouissance interdite qu'on se sent le plus profondément en vie. C'est en prenant le risque de vivre autrement que l'exige la norme que l'on vit sa vie au maximum !
- Tu veux dire que tu te sens "plus vivante" en mangeant trois fois trop de croquettes au poisson ?
- Ben oui, si les croquettes sont l'origine en toi d'un plaisir intense (d'ailleurs, tu devrais t'y mettre). Ecoute donc ce que demande ton corps ! La Raison est bien trop sérieuse. Ne comprends-tu pas qu'elle n'est là que pour te filer des boutons et te faire mourir d'une crise cardiaque avant l'heure ? Pourquoi ne vois-tu pas qu'être heureuse, ce n'est pas penser le monde, mais le vivre, le sentir, le créer ? Si tu ne fais pas l'effort de sortir de cette contemplation stérilisante, jamais tu ne parviendras à sortir de cette phase dépressive où je te vois sombrer depuis quelques mois.
- Facile à dire Mademoiselle Je-sais-tout ! Tu prétends me donner des leçons de vie, toi, la paresseuse qui passe ses journées à roupiller ! Mais que connais-tu donc de la vie, toi qui ne sors jamais ? Tu peux sortir tes belles théories sur le plaisir et dénigrer la raison, mais en vérité tu n'en sais rien. Tu n'as pas les pieds sur terre. Avec ta logique de pacotille, le monde est à l'envers. Si tout le monde faisait comme toi et ne cherchait que sa satisfaction personnelle, on aurait la tête en bas et on irait à notre ruine.
- Attends, ce n'est pas un de tes savants qui a dit que jusqu'ici la pensée avait fait marcher le monde sur la tête, et qu'il fallait le remettre sur ses pieds ? Hé bien, les pieds, ils sont ici - là où il y a la terre et la chair, et avec ces deux là tout ce qui va avec : la volupté, la concupiscence, la sensualité... C'est pas moi qui ai la tête en bas, c'est toi qui ne sais pas marcher droit dans le présent.
- Tu me prends la tête avec tes discours hédonistes ! Que prétends-tu qui soit bon pour moi ? Que je me transforme en fille de joie ? Franchement, tu devrais avoir honte !
- Mais non ! Je ne veux pas que tu te prostitues ! Je veux juste que tu apprennes à ne plus nier que tu es aussi un corps et que celui-ci, si tu l'écoutes, saura tout aussi bien que ton esprit - sinon mieux - faire fuir la morosité dans laquelle tu t'enfermes. Arrête de te cacher ! Arrête de te voiler la face ! Accepte de te regarder comme tu es ! Tu sais, t'es pas si moche que ça tout de même ! Si tu savais voir que toi aussi tu peux être jolie et attirante, je suis sûre que tu ne serais plus là à pleurer sur ton sort. La vie est ici, dans ton corps - et pas dans les pensées abstraites de ton esprit. Apprends donc à reprendre possession de cette existence corporelle !

*


Vous venez d'assister au dialogue entre mon chat et moi qui a lieu ce matin. Parfois, je trouve cette bête complètement surréaliste. Je ne trouve que trois explications à ses élucubrations félines faussement intelligentes :
- ou bien Hannah a trop abusé du thé Eléphant, comme dans la pub à la télé ;
- ou bien il y a des substances illicites dans ses croquettes de poisson ;
- ou bien elle est tombée par inadvertance sur un bouquin de la philosophie d'Epicure qui lui a mis toutes ces idées dans la tête.
En tout cas, cette discussion m'a donné un mal de crâne pas possible. Et puis décidément je n'aime pas quand ce n'est pas moi qui ai le dernier mot...

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Ce que je lis en ce moment : rien, j'essaie de me remettre de cette discussion
Ce que j'écoute : Hannah qui ronronne de plaisir