L'amitié prend
son temps



pour m'écrire
















































hier demain
Mercredi 28 mars 2001

Je peux mettre des années avant de faire vraiment connaissance avec une personne et lui accorder ma confiance. Oui, des années - je n'exagère pas. Ainsi, j'ai côtoyé pendant trois ans une fille qui était dans la même classe que moi en Prépa, et il a fallu que nous nous retrouvions toutes les deux à la fac pour que je découvre que nous avions bien des points en commun et que nous nous entendions au point que nous pouvions devenir amies. Presque toutes les relations que je noue avec les gens sont ainsi, à vrai dire. Elles sont lentes et tardives, toujours dans un premier moment hésitantes et indécises, même si ensuite elles deviennent assurées et sincères. Mes connaissances semblent toujours être de prime abord nonchalantes, avant de devenir, bien des mois plus tard, de véritables amitiés.

On pourra me dire que c'est tout à mon honneur de choisir si scrupuleusement les personnes avec qui je me noue, car je me donne ainsi les moyens d'assurer leur confiance et d'affermir l'attachement mutuel. Certes, même si c'est vrai pour un petit nombre de personnes, ma lenteur en réalité se joue de moi et, au lieu d'approfondir mes amitiés, ne fait que les rendre plus épisodiques et plus disséminées. Car il est rare de disposer du temps nécessairement à la connaissance d'une personne. Il est même rare de connaître une personne tout simplement. La prudence et l'indolence sont des qualités dangereuses car elles n'ont jamais véritablement le temps de se faire connaître - surtout dans cette société où la vitesse et la rapidité sont chantées comme les nouvelles vertus cardinales. Celui qui ne sait pas se lier rapidement à autrui ne voit dans sa sagesse aucune garantie d'amitiés, mais au contraire finit toujours à un moment donné par se découvrir seul.

C'est ce qui me semble m'arriver dans cette ville. Indépendamment des amis que j'avais avant d'habiter à Evaville (que j'ai gardé me semble-t-il, mais que je ne vois que de façon épisodique à cause de la distance géographique), je crois ne m'être fait aucun véritable ami. Je parle là, bien entendu, d'amitiés sincères, et non pas de relations superficielles de camaraderie ou de voisinage. L'année dernière, je me suis fait quelques bons copains et copines, et puis, la fin de l'année scolaire arrivant, tout le monde a été séparé, certains étant envoyés ailleurs, dans d'autres régions, si bien que je n'ai gardé de contact solide avec personne. Cette année prend le même chemin. Dans quelques mois, je serai envoyée dans un autre lycée (j'ignore encore où, bien entendu), et je doute que d'ici là aucune des connaissances que j'ai pu me faire depuis septembre ne devienne suffisamment solide pour dépasser le stade de la simple superficialité des échanges et ne prenne le temps de se transformer en amitié solide et sincère.

A vrai dire, je mets ma solitude sur le dos du temps, mais je sais que ce n'est pas lui le véritable responsable. Peut-être me fais-je en réalité une idée trop haute de l'amitié. Peut-être ne faut-il pas attendre des gens plus qu'ils n'en peuvent donner. Peut-être aussi faut-il oser dès les premiers instants se montrer tel qu'on est à l'autre que l'on rencontre. Peut-être même est-ce un mal incurable que d'être incapable d'être véritablement soi-même avec toutes les personnes avec lesquelles on entre en rapport.

Je ne sais pas. Ce que je me doute, c'est que cette lenteur précautionneuse qui me fait retarder le moment où je donnerai toute entière mon amitié sincère et où j'accepterai la recevoir d'autrui, me fait passer à côté de bien des espérances...

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Ce que je lis en ce moment : Une femme - Annie Ernaux
Persuasion - Jane Austin
Mémoire de profs - William Reymond
Ce que j'écoute : des concertos pour violon de Paganini
Dernier film vu : Mademoiselle (très bien)
Merci : à tous les nouveaux lecteurs qui m'ont écrit