Paname



pour m'écrire













































hier demain
Jeudi 19 avril 2001

J'ai toujours cru que je serai éternellement Parisienne. Du moins j'ai toujours pensé que si je ne l'étais pas géographiquement et physiquement parlant (au fond, je n'ai vécu que trois ans à Paris, à la fin de mes études), je le serais au moins d'esprit. L'affirmation est présomptueuse, car j'ignore ce qu'est l'esprit parisien - et même si seulement il y en a un. Peut-être que justement l'esprit de Paris consiste précisément à ne pas en avoir et à absorber de façon spongieuse tous les courants, toutes les idées, toutes les modes, sans jamais ne se réserver qu'à un seul mode de vision.

Quoi qu'il en soit, voilà tout juste un an et demi que je n'habite plus Paris, et, bien que je n'ai toujours pas abandonné mes rêves citadins (j'ai toujours le désir secret de revenir y vivre, dès que ce sera possible), mon séjour dans la capitale ressemble à un voyage touristique en terre étrangère. Aujourd'hui, pour la première fois depuis des mois, j'ai revu la Seine, le métro et les grands boulevards Hausmaniens. Je n'avais rien oublié. Tout était gravé dans ma mémoire. Mais, tout se passait comme si, alors que la ville n'avait pas changé, ayant gardé toujours sa jeunesse et son mouvement, moi, au contraire, j'avais vieilli de plusieurs dizaines d'années. Dès mon arrivée à la gare, je me suis soudainement sentie dépassée. Le monde courait vite autour de moi - hommes d'affaires pressés, téléphones portables allumés, et puis aussi SDF portant le poids de sa douleur. Tout cela existe bien entendu à Evaville. Mais la vie n'est pas aussi rapide et les contrastes aussi frappants. Les gens se ressemblent tous, en province. Ou du moins, chacun appartient à une catégorie précise et il est aisé de ranger chaque individu dans la case qui le désigne. A Paris, les populations sont trop différentes, trop mouvantes, trop floues aussi pour pouvoir être saisies au vol et enfermées dans un contexte réducteur.

Lorsque je prends le train à Evaville, il est facile d'embrasser du regard les passagers du wagon : à majeure partie, il y a les lycéens qui vont en cours, quelques rares personnes qui sans doute ne possèdent pas de véhicule pour aller à leur travail et aussi lorsque c'est un train qui vient de Paris quelques hommes avec un petit cartable qui sans doute ne sont en déplacement dans la région que pour un ou deux jours. Dans le métro parisien, il est impossible de regarder partout : il y a ces jeunes bien sûr qui rentrent de cours, ces hommes chics à la cravate bien serrée au menton... mais aussi ce couple de vieux, cette baba-cool qui fait crier la musique dans son walk-man, ce grand Noir qui semble sortir d'un clip de rap, ce groupe de jeunes japonaises qui ne parviennent pas à se repérer sur le plan de la ville... Impossible de saisir un visage et de lui redonner son histoire. Mon imagination part d'un individu à l'autre. Tous ces gens autour de moi, comprimés dans le métro. Toutes ces pensées secrètes qui transpercent les visages fermés. Toutes ces vies qui se déroulent dans tous ces coins de la ville. Tous ces romans qui s'écrivent sans les mots. Comme la vie se démultiplie à Paris ! Comme l'histoire et la géographie se développent !

Faut-il donc que j'ai tant vieilli dans ma petite province pour avoir autant de mal à saisir de nouveau le mouvement de la cité ? Ou bien ma petite province où rien ne se passe m'a-t-elle appris par sa quiétude à regarder une réalité que ses habitants ne regardent plus, car ils en sont trop habitués ?

La Seine qui saute hors de son lit... La route des berges qui se meurt dans l'eau... C'est la vie qui déborde à Paris et moi qui me noie en essayant de me maintenir à sa surface.



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Ce que je lis en ce moment : Un animal doué de raison - Robert Merle
Ce que j'écoute : Harry Connick Jr.

Il y a un an.