Communication éducationnelle



pour m'écrire











































hier demain
Lundi 3 septembre 2001

Fallait bien y aller, alors j'y suis allée. Pour la première fois depuis deux mois, j'ai mis mon réveil en marche, et, comme toutes les nuits depuis une semaine, j'ai fait d'horribles cauchemars poulpesques. Devant les informations télévisées du matin, j'ai essayé de me motiver en me répétant que c'était bien de reprendre les cours, et, dans la voiture, j'ai fait gueuler Vivaldi pour ne pas m'entendre rouspéter après moi-même.

J'ai toutefois fini par arriver au lycée le coeur léger, la bouche en coeur et le regard dynamique. Sur le parking, je voyais des visages connus et je me préparais à sourire pour avoir l'air un brin joyeuse quand même. Je m'étais faite à l'idée d'accompagner de nouveau ces collègues que j'avais connus l'année dernière et j'étais même presque contente de revoir certains.

Mais voilà qu'on m'accueille avec des yeux ébahis : un incongru "qu'est-ce tu fous là ?" surgit à mes oreilles. Qu'est-ce que je fous là ? Ben je viens faire ma pré-rentrée, pardi ! J'ai été convoquée à ce lycée en attendant d'avoir un remplacement. "Tu sais bien, puisque je t'ai eu au téléphone il y a une semaine, voyons", que j'ajoute en regardant mon interlocutrice. Ses yeux paraissent maintenant sortir de leur orbite : "mais tu fais un remplacement à l'année à Poulpeville, à 30 km d'ici", entends-je avant que le coup de grâce tombe violemment dans mes tympans - "ça fait une semaine qu'on est au courant nous, ici ! on ne t'a rien dit ?" Ben non, on ne m'a rien dit du tout. Rien du tout du tout !

Moi, la principale intéressée à l'affaire, l'une des pièces motrices du système éducationnel, je n'étais pas même au courant de mon propre destin qui s'était scellé à mon insu dans le sérail secret du rectorat académique. Ne comptait-on pas me dire, là haut, en haute autorité, que j'allais faire la classe dès la rentrée ? Etais-je seulement un détail sans intérêt ? Un nom dans leurs fichiers qui n'avait pas d'existence réelle et physique ? N'avais-je donc pas un téléphone, un répondeur, une boite aux lettres, un e-mail qu'on ne m'ait pas ainsi avertie ? A l'heure où j'écris ces lignes, personne ne semble avoir éclairci ces points pourtant essentiels me semble-t-il. Mais de toute façon, aux hautes autorités, ils s'en foutent. Pas besoin de me le dire, je l'avais remarqué.

C'est ainsi que ce matin, aux portes d'un lycée qui ne voulait pas de moi, je me suis sentie infiniment stupide. Les collègues continuaient à arriver lorsque moi je suis retournée vers ma voiture en courant. Je leur disais bonjour et au-revoir en même temps, j'avais l'air fine. J'ai refait gueulé Vivaldi à fond dans l'automobile et j'ai pris la route en sens inverse. Bien entendu, je suis arrivée en retard à mon nouveau lycée (en vertu de la loi de l'inconsistance temporelle : on ne peut être à deux endroits différents au même moment). J'étais encore un peu essoufflée lorsque le proviseur a communiqué à tout le monde sa joie de m'accueillir comme nouveau membre de l'équipe professorale. Tous les visages se sont tournés vers moi, alors que j'essayais en vain de cacher ma langue pendante due à la course effrénée que j'avais dûe faire un instant plus tôt dans les couloirs. J'avais l'air fine, là aussi, je vous le dis.

Par pitié, ne venez surtout pas me parler d'ère de la communication. Surtout pas.




Il y a un an.
Il y a deux ans.