L'enterrement de l'été |
Dimanche 2 septembre 2001 ![]() Non, Maman, demain, j'veux pas y aller... J'veux pas écouter le discours du proviseur qui dira vive les nouvelles technologies, vive l'ignorance des élèves, vive la destruction du savoir. J'veux pas avoir à regarder les photos de vacances des collègues qui diront regardez comme mon petit dernier il est grand maintenant, là c'était à la Baule, qu'est-ce qu'il faisait chaud. J'veux pas entendre la fausse pitié des autres qui s'exclameront avec un sourire oh t'as pas de poste fixe, t'as pas de chance. J'veux pas reprendre le train et émigrer chaque matin pour entendre dans le haut-parleur la douce voix de la dame de la SNCF annoncer nous sommes désolés mais le train est annoncé avec un retard de 15 minutes. J'veux pas retrouver la jeunesse qui mâchera du chewing-gum et qui marmonnera Madame, on s'en fout de ce que vous racontez. Non, Maman, demain, j'veux pas y aller... J'préfère rester dans la grande maison à me balader pieds nus et pas coiffée et à rejeter l'automne. J'préfère tremper mon réveil dans le thé chaud du matin et regarder le dernier épisode d'Amour, gloire et beauté pour savoir si Ambre la fourbe va avouer à Rick que leur enfant n'est pas leur enfant puisque le leur est mort et qu'elle en a volé un. J'préfère écrire mes petites histoires sur mon ordinateur et plonger dans les mots jusqu'à ce que la tête me tourne. J'préfère continuer mes propres lectures sans avoir à m'effrayer de leur aridité, puisque je lis pour moi et pas pour eux. J'préfère me rouler dans l'herbe et perdre le bout de mes doigts dans la douce fourrure de mon chat noir. J'préfère tout ça, et tout le reste encore. Non, Maman, me laisse pas retourner dans la vraie vie. Laisse moi un jour encore. Rien qu'un jour. Un jour pour enterrer mon été. Mettre dans la terre un peu de soleil, beaucoup de paresse, une grosse caisse de livres, et des tas d'odeurs. Parfum salé de l'océan, parfum fertile des blés jaunes, parfum glacé des sorbets à la vanille, parfum dévastateur des vents violents... Oh Maman, laisse moi dire au-revoir à tout cela ! C'est promis, sur le pas de la porte l'école, j'essaierai de ne pas pleurer. De ne pas pleurer mon été qui est parti. Il y a un an.
Il y a deux ans. |