Courants d'air




pour m'écrire
































































































hier demain
Mardi 9 octobre 2001

Miaou les Bipèdes !

Ca faisait longtemps que j'étais pas venue fourrer le museau dans votre écran, einh ? Faut dire aussi que vous êtes même pas venus vous-mêmes me demander des nouvelles ou encore me fêter mon anniversaire ! Hé oui, dans la plus pure ignorance, exactement comme l'année dernière, j'ai fêté il y a quelques jours mes deux ans. Deux ans que je joue les déesses sereines étendues sur toute la quiétude de son divin flanc. Deux ans que je réveille mes hébergeants aux cris de miaous matinaux. Deux ans que je dors toute en boule sur le canapé alors que les humains travaillent et se démènent autour de moi.

Sagesse

On n'a pas tous les jours deux ans. Alors, vous pensez pas que ça se fête, les gars ?

Mais le problème, c'est que j'ai personne avec qui commémorer le souvenir de mon arrivée sur terre. Car figurez vous que Mademoiselle ma maîtresse est tout le temps absente. Mademoiselle, maintenant, a mieux à faire que de s'occuper de son presque déjà vieux chat. Mademoiselle considère dorénavant la compagnie des hommes plus intéressante que celle de son chat. C'est pas une HONTE, ça ?? Et le respect qu'on doit aux animaux ? Et la Charte du droit des Chats ? J'vais appeler l'ONU et les Casques Bleus pour qu'ils remédient avec les armes à cette injustice ! Mais, à tous les coups, eux aussi auront autre chose à faire... J'ai pas de chance. Personne ne m'aime...

Quoi ? Vous voulez pas me croire quand je vous dis que Mademoiselle est ailleurs ? Ben, venez donc voir par ici... Vous la trouverez en flagrant délit d'absence. En effet, Mademoiselle, depuis un mois, brasse de l'air : elle court tellement d'un endroit à l'autre que ça fait du courant d'air dans l'appartement (c'est que je vais m'enrhumer en plus !). Cette chère Eva ne veut plus penser à sa solitude et à son ennui. Hop, elle a décidé d'un coup d'oublier toute la morosité de l'année passée. Elle croit que c'est possible comme ça, sur simple commande. Pour combattre l'ennui, elle a adopté la méthode du courant d'air : ne jamais être trop longtemps au même endroit, ne jamais prendre le temps de s'arrêter pour réfléchir, ne jamais prendre soi-même un instant pour souffler pour toujours continuer d'entendre le vent souffler autour de soi. Son but, c'est de supprimer tous les trous d'air dans lesquels elle avait l'impression de chuter longuement et dans le fracas d'un vide absolu. Détruire tous les néants qui l'aspiraient et semblaient vouloir l'attirer.

Pour cela, elle court, croyez-moi ! Un trou est devenu un ennemi absolu : le vide et l'absence lui font maintenant si peur qu'elle a tout effacé de son emploi du temps, afin qu'il ne reste aucun espace de respiration. Tout remplir, tout colorier, tout barrer, telle est devenue sa maxime. Si vous voulez des faits, je peux vous donner son emploi du temps (en plus de son boulot, cela va sans dire) :
lundi gymnastique (Eva croit que tirer sur son corps le rendra plus souple et lui fera oublier qu'elle a un esprit qui se tourmente et s'angoisse)
mardi rien pour le moment (c'est bien le seul soir, et à mon avis, ça devrait pas durer, car Eva a dans l'idée de prendre des cours de rock... hum, cette perspective me laisse sceptique)
mercredi  cours à la fac (ça, c'est pompon, car la fac est à Paris, et je vois pas comment elle peut espérer y aller toutes les semaines, alors qu'elle habite si loin...)
jeudi cours d'allemand (attention, Eva rentre en deuxième année, alors qu'elle spriche nicht Deutsh... elle a du courage)
vendredi aviron (là, sa motivation m'échappe... a-t-elle choisi ce sport réputé archi dur pour aller mater les types en caleçon moulant ? ce serait une hypothèse à approfondir...)


Il reste le week-end, mais ça fait des mois qu'Eva ne l'a pas passé à Evaville. Elle préfère bien plutôt emmener tous ses livres (les cours d'allemand, les livres à étudier pour son mémoire) dans le train pour se poser dans un lieu nouveau, ne pas ouvrir les dits livres (car la gymnastique a endolori tous ses muscles et l'aviron les a achevés, donc elle est crevée et dort toute la journée) et repartir deux jours plus tard.

Que croyez-vous qu'il ressortira de tout cela ? Eva me répète que ça peut que lui être bénéfique de se lancer dans pleins de projets et d'avoir mille raisons d'être utile. Elle me parle même de faire du bénévolat, c'est dire...

un chat dans les pattes
Mais, moi, tout ça me laisse froide. Car en attendant, je la vois marcher perpétuellement pliée en deux (les exercices sur les abdo. lui sont toujours fatals), de larges cernes sous les yeux et avec l'impression de tout faire à moitié. Même ce journal, elle n'arrive plus à s'y adonner avec la même énergie, si bien que c'est moi qui suis obligée de venir vous expliquer tout ça. Du coup, faut que je la rappelle à l'ordre et je passe mon temps à me frotter contre ses jambes pour qu'elle me redonne un peu de l'attention qui m'était auparavant dûe.

Je suis pessimiste, je sais. Mais c'est normal de voir tout en noir quand on est un chat noir, non ?! C'est juste que je me demande pourquoi Eva veut faire tout cela. Pour agir enfin, pour découvrir, pour connaître... ou seulement pour brasser du vent afin d'oublier ?

Hannah.




Il y a un an.
Il y a deux ans.