A l'année |
Vendredi
21 décembre 2001
C'était dur de sortir du cours d'allemand dans le froid glacial, et de parcourir le lycée complètement désert, à huit heures du soir passées. Dans la voiture, G. et moi étions tellement frigorifiées que nous n'arrivions même pas à déserrer les mâchoires pour parler. On a quand même réussi à plisser un sourire sur nos lèvres pour nos fêter bonnes fêtes et à l'année prochaine.
C'est possible ? Demain, je vais sauter dans mon train et je vais retrouver mon papa, ma maman et mon frérot. Ils vont pouvoir penser pour moi. Moi, je ferai comme si j'étais pas capable de penser toute seule, comme ça, rien que pour leur faire plaisir. Et puis aussi parce que, il faut bien l'avouer, ça me fera plaisir à moi aussi de ne pas avoir à réfléchir, ne pas avoir à prendre de responsabilité, ne pas avoir à faire croire qu'on est grande alors qu'on est toute petite. Ma maman me dira "mange donc, il faut que tu te remplumes ! ah ça doit être beau chez toi, les repas !" et puis elle prendra son air horrifié quand elle essaiera de rentrer dans ma vieille chambre, car elle ne pourra pas, tellement la pièce sera remplie de bouquins, de vêtements jetés en tas dans un coin, et de mon grand sac de voyage. Mon papa me dira "écoute ça, c'est magnifique, je viens de le découvrir" et moi je n'écouterai la musique que d'une oreille car j'aurai la tête ailleurs. Ailleurs. Et puis jeudi matin à l'aurore, je sauterai dans l'autre train, dans l'autre gare. Je retrouverai Copine Juju. avec H. devant le TGV. Pourvu que je ne le manque pas, ce train. Les deux dernières fois que j'ai voulu le prendre, je l'ai raté, comme s'il y avait une malédiction lancée par la SNCF sur la ligne qui mène chez Stevee. Stevee nous attendra sur le quai de la petite gare. Elle aura son bonnet violet et ses yeux se mettront à briller dès qu'elle nous verra débarquer avec nos gros sacs à dos. Elle nous criera "enfin, la fête en continu peut commencer !" Voilà des semaines qu'elle en parle tout le temps et qu'elle nous prépare des cassettes pleines de délire. Stevee est fan des années 80. Alors on peut être sûr qu'on va pouvoir entendre toute la rétrospective - les yeux revolvers, est-ce que tu viens pour les vacances, comme un ouragan, comme une boule de flipper, capitaine abandonné, ils m'entraînent jusqu'au bout de la nuit les démons de minuit... Oui, à n'en pas douter, on aura la totale. C'est sûr, je n'aurai pas non plus à penser avec Copines. A la place, on rira et on se droguera aux chocolats. Peut-être qu'un soir, à deux heures du matin, on finira une soirée trop délirante par des considérations soudainement métaphysiques et pleines d'une gravité insoutenable. Mais c'est pas grave. Je me serai tellement retrouvée en me quittant, me noyant volontairement sous toute cette superficialité, que j'aurai bien grandi le jour où ma pensée reviendra me tenir au fond du ventre. Je pourrai la supporter avec plus de force. Enfin. Demain, je m'en vais en vacances. Demain, je ne parlerai plus au futur, mais au présent. Alors à vous aussi je peux vous souhaiter bonnes fêtes, et puis surtout... A l'année prochaine !
Il y a un an.
Il y a deux ans. |