Je n'ai pas choisi d'écrire




pour m'écrire


























































hier demain
Mercredi 23 janvier 2002

Il m'arrive souvent de me poser des questions à propos de ce journal. Pour quoi ? Pour qui ? Jusqu'à quand ? Et puis surtout à quoi bon ? Certains soirs, je suis prise d'un grand découragement. Ça vient comme ça, d'un coup. Parfois à la lecture d'autres diaristes, parce que certains ont à mes yeux des propos si forts qu'à côté les miens paraissent insipides et sans intérêt. D'autre fois en voyant défiler les pages webs qui se multiplient à l'infini semble-t-il, parce qu'il me paraît alors évident qu'il ne sert à rien d'être un inconnu de plus derrière son écran à noircir les pixels de la petite histoire de sa petite vie. Oui, ils reviennent plus souvent qu'on ne le pense, ces jours où j'ai l'impression d'être au bout de mon écriture. Que je sois intimidée par l'écriture des autres, ou bien au contraire excédée par leur morne prolixité, j'en arrive alors à la même lassitude, et j'en viens presque à me convaincre qu'écrire ne sert à rien.

Mais voilà, j'ai dit presque... Seulement presque.

Car je reviens toujours écrire ici. Comme si c'était plus fort que moi. J'ouvre mon logiciel HTML, je choisis une photo, et je laisse aller mes doigts sans plus réussir à les contrôler. J'écris, et cela va de soi. Ce n'est pas une habitude. Enfin, pas seulement. Si j'écris, ce n'est pas simplement parce que je l'ai fait avant. Même s'il me semble ne plus avoir le contrôle de mes doigts sur le clavier, je sais que ce n'est pas un automatisme arraché à la monotonie de la vie qui me fait écrire. Ecrire est au contraire à chaque fois un événement. Un événement inédit (c'est le cas de le dire). Il n'y a pas d'écriture neutre. Il n'y a pas d'écriture pour rien, juste pour passer le temps. Cela me semble être un non-sens que de dire que tenir son journal intime est un passe-temps, un loisir, un hobby (horrible anglicisme) comme un autre. Car enfin, on n'écrit pas sa vie comme on joue au tennis de 17 heures à 18 heures chaque mardi ! Car enfin, on ne tort pas les mots percés à travers nos propres émotions comme on collectionne les timbres dans de grands albums ! Je n'écris pas pour que le temps passe. J'écris au contraire pour qu'il arrête enfin un jour de passer et, inversement, pour que je cesse à mon tour d'être dépassée par les jours qui s'effilochent. Je n'écris pas parce que je n'ai rien d'autre à faire. Au contraire, j'écris parce que j'ai autre chose à faire. Le temps passé à écrire est un temps volé à la vie - à la vie humaine trop humaine, à la vie avec ses priorités officielles et raisonnables.

Souvent l'idée d'arrêter tout me traverse l'esprit. Pendant quelque temps, je me dis qu'écrire à tous et à personne c'est impensable, et même intenable. Je pense alors mettre un terme à ce journal car cela n'a aucun sens que d'écrire sa vie au lieu de simplement la vivre. Et puis, non, je reviens toujours. Non pas par choix, mais par nécessité. Je dois écrire. Ce n'est pas mon choix. Les mots sont là en moi. Ils bouillonnent, ils me brûlent entièrement de l'intérieur et m'empêchent de respirer convenablement. Ils sont là, au fond de moi, me coupant le souffle, tant ils se mettent à expirer en moi avec de la force. Je ne peux rien faire contre les phrases qui grandissent en moi. Elles ont comme une vie indépendante de la mienne, même si c'est à l'intérieur de moi, justement, qu'elles mûrissent. Au fond, je suis prisonnière de mes mots. Les libérer, c'est écrire. Ecrire simplement pour devenir libre. Le comble, c'est que les mots sont l'organe à la fois de mon emprisonnement et de ma libération : trop criant en moi, ils me serrent à la gorge et me tiennent en haleine, mais quand enfin ils parviennent à sortir c'est moi qu'ils font crier, me menant à la limite extrême de mon être.

Je ne parviens pas à expliquer pourquoi j'écris, pourquoi je continue à écrire malgré tout. Je sais seulement que je ne peux pas faire autrement. Que c'est tout simplement impossible de me condamner au plus absolu silence...

écrire par nécessité




Il y a un an.
Il y a deux ans.