Comme si je n'allais pas revenir |
Mercredi
30 janvier 2002
J'ai l'impression de vivre en apnée depuis quelques jours. Mais j'ai beau avoir le souffle coupé, la certitude que je vais bientôt pouvoir expirer tout l'air que je suis en train de comprimer dans mon corps rend cet état d'immersion terriblement excitant.
C'est étrange, cette impulsion en moi à tout finir, à tout parfaire, pour qu'il ne reste rien d'interrompu, d'inachevé. Comme si je n'allais pas revenir. Comme si c'était un voyage sans retour. Comme si je pensais à ceux qui allaient se retrouver avec toutes mes affaires à trier. Je suis peut-être devenue comme mon père, au fond. A la maison, on se moque de lui, car à chaque fois qu'il part en week-end, il embête tout le monde à tout vérifier, tout ranger, tout classer. On est toujours là, dans la voiture, à attendre que son dernier tour de garde soit fini, et que son inspection soit achevée : une petite cuillère oubliée du petit déjeuner qui traîne dans l'évier, vite, il faut la laver, tant pis si ça nous met en retard ; un cadre pas droit, insupportable, il faut le redresser, c'est impossible de partir en sachant que tout n'est pas à sa place. Et pendant ce temps là, ma mère soupire dans la voiture : "qu'est-ce qu'ils en auront à faire, les cambrioleurs, que tout soit en ordre dans la maison ?" Je me démène comme ça, depuis quelques jours, non seulement dans mon appartement, mais aussi dans mon travail et dans mes histoires. Je finis à toute allure tout ce qui est commencé, comme si je pensais à mes futurs cambrioleurs. Pourquoi cette volonté de tout achever avant de débuter quelque chose de nouveau ? Pourquoi cette nécessité de finir avant de commencer, alors qu'en fait on ne fera que continuer, quoi qu'il arrive ? Alors je passe mes journées à essayer vainement de tout faire. Je me dope au chocolat, et ne prends même pas le temps de soupirer devant la centaine de copies qu'il faudrait avoir corrigé avant de partir. Je n'arrive pas à me coucher le soir, trop absorbée par ce que je fais, et trop obnubilée par le temps qui partirait avant que tout soit achevé. Comme si je n'allais pas revenir, vous dis-je... ![]()
Il y a un an.
Il y a deux ans. |