Amour rime |
Mercredi 12 juin 2002
L’autre week-end, mon père m’a pris à parti : "J’ai entendu un nouveau chanteur sur France-Inter. C’est tout à fait le genre de chansons que tu aimes. Il faut absolument que tu l’écoutes. C’est Vincent Delerm, le fils de l’écrivain. Et puis tu verras, il parle de ta mère et moi." Je n’obéis pas toujours aux préceptes paternels, mais cela m’arrive quelque fois. Alors je suis allée à la FNAC et j’ai acheté l’album, presque sans hésitation, sans avoir écouté une seule chanson auparavant. Bien évidemment, l’Evapapa avait vu juste. J’ai adoré et trois heures plus tard je connaissais déjà presque toutes les chansons par coeur. J’aime la musique parce qui sont mêlés piano, contrebasse et violons. J’aime la voix grave, souvent mutine et un peu moqueuse. Et puis j’aime ces histoires et ces univers qu’il me semble déjà connaître - les soirées au festival d’Avignon à s’ennuyer devant un Shakespeare à l’intensité qui rappelle le programme d’EMT pour l’année de quatrième, Deauville sous la pluie avec le fantôme si sensuel de Trintignant dans Un homme et une femme, et puis même les matins "habillé comme hier, dans la ville normale, des voitures banales". C’est vrai qu’il y a aussi une chanson sur mes parents - une formidable chanson d’amour comme j’aimerais qu’on m’en écrive. Mes parents, ce sont eux qui sont "branchés sur France Inter", lisent Télérama et chaque vendredi soir "regardent Thalassa". Ils n’ont pas de "chien dégueulasse", mais ma "mère veut toujours qu’on rapporte les restes de la blanquette quand on rentre le dimanche soir". Et mes parents ressemblent un peu aussi à ceux de la chanson Châtenay-Malabry. Elle est si triste cette chanson avec ces enfants qui ont grandi et qui ont laissé leurs parents tous seuls dans leur grande maison vide, "dans le silence qui s’installe" le dimanche après-midi. J’enrageais d’écouter des chansons si justes et de voir que ce n’était pas moi qui les avais écrites. Alors ce matin j’ai repris mon vieux rêve et j’ai sorti un papier et un crayon pour me mettre à écrire une chanson. J’ai toujours voulu écrire des chansons. La prose et le silence des mots sont forcément au bout d’un moment impuissants à rentrer dans les âmes. Seule la musicalité d’une chanson sait s’y faufiler, et le plus souvent sans pourtant en avoir l’air. Alors j’ai sorti un papier blanc et j’ai même retrouvé mon vieux dictionnaire des rimes. Octosyllabes, rimes féminines entrelacées, tout cela venait rapidement. a b b a, c’est un rythme qu’il est facile de danser dans sa tête. Mais j’ai bifuré tout ce que j’ai écrit. Je trouvais cela tellement plat, tellement mort, tellement banal. C’est difficile d’écrire une chanson, car tout de suite on retombe dans les clichés et très vite sous la plume naît quelque chose qui ressemble à une mélodie de supermarché. Et je n’aime pas ce qui est facile, et encore moins ce qui est prévisible. Les chansons dont on prévoit dès le premier vers le mot qui rimera à la fin du second sont peut-être celles qui sont le plus vendues dans les Top 50, mais ce ne sont pas celles qui sont intéressantes. Mais le problème, c’est qu’à chaque nouveau couplet j’avais l’impression d’écrire une de ces chansons là. Vous savez une de ces chansons de comédies musicales où il y a des filles qui gueulent leur amour-toujours avec des types échevelés.
Ma chanson est lettre morte. Au sens propre : les lettres sont mortes sur le papier. Je n’ai pu donner naissance qu’à un mort-né. Je ne parviens pas à écrire de chanson car tout ce que je peux dire ne pourra jamais sortir que du silence. Je connais trop peu la musique pour espérer inventer aussi la mélodie. Et une chanson sans mélodie, ce sont simplement des mots crucifiés sur le papier. Ca n’a rien à voir avec une chanson. Je ne sais pas trop ce qu’il faut que je fasse : ranger mes quelques strophes dans un classeur et les oublier, ou bien trouver un musicien qui tentera de leur donner la musique qui leur manque ?
|