C'était mercredi et nous étions en train de prendre notre goûter. A quatre heures, comme les enfants. Et nous n'avions pas fait les choses à moitié. Nous nous étions préparées des pancakes, chacun recouvert d'une si épaisse couche de Nutella que cela aurait eu de quoi me rendre malade si je n'avais pas un estomac accoutumé aux overdoses de chocolat. Nous rigolions bien car nous venions de faire cramer une crêpe. Dans la petite poêle, il y avait le pancake tout calciné, collé au fond du Tefal, dur comme un morceau de charbon. Quand on a le coeur léger, ça fait rire de rater les choses. On ne pense pas qu'on a échoué, on pense juste au plaisir d'être surpris de voir que tout ne se passe pas comme la perfection l'avait prévu.
Et puis au milieu de nos éclats de rire gourmands, la porte d'entrée a sonné. Nous nous sommes regardées pendant quelques secondes sans bouger, comme dans les séries américaines où les personnages se demandent pendant trois plombes "qui ça peut bien être ?" avant de se lever pour aller ouvrir. Pour savoir qui venait nous rendre visite, j'ai fini par appuyer sur l'interphone. Je n'ai pas compris grand chose. Une voix parlait de fleurs, de livraisons, de carte. J'ai ouvert. Et là on a vu un énorme bouquet de fleurs passer le pas de notre porte. J'ai pris les fleurs dans mes bras, et j'ai dit :
- C'est pour qui ?
-Pour Kolok, m'a répondu la petite fleuriste.
- C'est pas vrai, Kolok ! Mais qui t'envoie ces fleurs ?
Kolok n'a pas répondu tout de suite. J'ai seulement vu son visage s'illuminer et ses doigts trembler en prenant les fleurs. "Oh, il n'a pas oublié !", a-t-elle murmuré dans un enchantement. Une fois qu'elle a eu repris ses esprits, ma curiosité implacable a assailli ma pauvre colocataire. Ce week-end qui avait été qualifié de "bien" lundi soir n'avait-il pas été plus que "bien" pour qu'un presque inconnu lui fasse une telle déclaration ? Et de lui demander l'état civil du monsieur, sa profession et son casier judiciaire presque, comme à un interrogatoire de police. Les amoureuses aiment bien garder leurs secrets et je n'ai pas pu tout savoir, comme pour faire affront à ma curiosité trop poussée. Il a ensuite fallu mettre les fleurs dans l'eau. Ce n'était pas facile. Elles ne rentraient pas toutes dans le même vase. Alors on en a pris deux. Maintenant il y a des fleurs partout dans le salon.Kolok est partie pour le week-end. Alors je me retrouve seule avec ses fleurs à elle. Quand elle reviendra, la plupart seront fanées et je serai seule à en avoir profité. C'est étrange comme situation. Je ne suis pas celle à qui l'on pense, celle qui a fait espérer, celle qui a rougi, et pourtant je vais être celle qui va contempler le fruit d'une séduction étrangère. Ces fleurs ne sont pas à moi. Pourtant ni l'amoureux qui les a fait livrer sans les choisir directement, ni l'amoureuse qui les ayant à peine reçu s'est déjà envolée, ne vont vivre avec ces fleurs comme moi je vais vivre avec elles. Mais en les regardant, je ne pourrai m'empêcher de penser que je suis projetée dans une histoire qui n'est pas à moi et qui ne m'appartient qu'en spectatrice.
Il y a ce beau bouquet sur la table du salon. Mais il y a au fond de moi la petite frustration de penser que je n'ai rien à voir avec lui. Comme si chacune des roses, chacun des oeillets, chacun des iris rappelaient dans une jalousie perverse et honteuse que personne n'a pensé à moi.
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