Dimanche 8 décembre 2002

C'est en soi que tout se passe
Je passe un long moment au téléphone avec C. La conversation est troublante. On se met à se dire des choses très intimes alors qu'on se connaît à peine. Je vis simplement avec sa meilleure amie.

C. est inquiète car notre amie commune est seule depuis trop longtemps. "Seule", pour C., cela signifie "sans homme". Kolok n'a pas d'homme dans sa vie, me dit-elle, en ajoutant que celle-ci est forcément malheureuse de cet état de fait qu'elle ne peut vivre que comme une malédiction, et qu'elle doit se sentir incomplète, inachevée. La crise des célibataires bientôt trentenaires, l'envie de bébé avant qu'il ne soit trop tard, Bridget Jones et tout ça.
- Tu comprends, même si elle ne dit rien, je sais bien qu'elle souffre de ne pas connaître l'amour elle aussi. Il lui manque quelque chose d'essentiel pour pouvoir se réaliser complètement.
A ces propos, ma fibre féministe s'est réveillée. Non, je ne suis pas d'accord ! Arrêtera-t-on un jour de proclamer qu'il faut être deux pour être soi-même ? Pourquoi la solitude serait forcément un crime - crime contre la société, crime contre soi-même ? Pourquoi serait-on nécessairement plus heureux à deux plutôt qu'à un ?

Je ne me suis pas mise soudain à aller mieux et à me sentir mieux en moi en rencontrant O. C'est l'inverse qui s'est passé : je l'ai rencontré parce que je me sentais mieux et que j'étais prête enfin à sortir de moi et à m'ouvrir à autrui. Il ne faut pas inverser le rapport de cause à effet. La cause du bien-être sera toujours intérieure au sujet le ressentant. S'il m'est arrivé d'en douter auparavant, j'en suis convaincue aujourd'hui, alors même que je ne suis plus tout à fait toute seule. C'est toujours entre soi et soi que toute expérience se passe, même l'expérience qui se joue d'une conscience à l'autre. Une relation à deux se vit à deux, mais elle commence par soi. Pour qu'elle se passe bien, ce n'est pas tant la façon dont on vit avec l'autre qui compte que la manière dont on vit avec soi-même. Si on ne se supporte pas soi-même, jamais on ne pourra supporter quelqu'un d'autre près de soi. La vie commence par l'intériorité de la conscience et revient toujours à celle-ci.

C'est l'égoïsme qui doit constituer le coeur de toute existence. Je veux dire que c'est autour de l'ego qu'une vie se construit. Croire que le bonheur est entièrement conditionné à la recherche d'un autre que soi, c'est oublier de vivre en soi-même, pour soi-même. Ma vie, c'est en moi qu'elle se joue. Pas en Lui. Je ne pourrais pas l'aimer, si j'attendais tout de lui - qu'il me rende joyeuse, légère et radieuse. Si j'avais attendu son unique présence pour que tous ces adjectifs puissent me définir, jamais je ne l'aurais rencontré. Il serait passé à côté de moi sans me voir et moi je n'aurais jamais pu rien lui donner. On ne commence pas à vivre parce qu'on s'est mis enfin en couple. Etre avec l'autre, ce n'est pas se perdre soi-même dans l'indétermination d'une existence qui aurait perdu les frontières du moi.

C'est moi qu'il aime, et non pas une partie de lui-même. L'âme-soeur, Aristophane et les êtres doubles qui cherchent leur moitié, ce sont de belles histoires auxquelles on a envie de croire, mais qui rendent impossible la compréhension de l'amour véritable. Aimer l'autre, c'est d'abord s'aimer soi-même. Et être soi-même, c'est vivre authentiquement sa propre solitude et aller jusqu'au bout d'elle-même. Si j'attends qu'autrui me complète, m'achève, me réalise, jamais je ne parviendrai à me trouver telle que je suis véritablement. "Rentre en toi-même, c'est là qu'est la vérité"...

O. m'apprend à aller jusqu'au bout de moi-même, à oser franchir mes propres limites, à découvrir le monde que je ne parvenais pas à affronter auparavant. Il est un révélateur de ma propre essence. Je ne m'invente pas différente entre ses bras. Je n'y trouve pas ce qui me manquait pour exister. J'aperçois simplement cette force qui est la mienne et à laquelle je n'osais auparavant faire face. Tout ce qui n'était qu'en puissance auparavant en moi devient soudainement en acte. J'actualise mes potentialités les plus cachées. Je ne suis pas différente grâce à lui. Je vais simplement à l'assaut de ma propre existence en acceptant d'en partager un peu avec lui.

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