Je sors de chez lui, c'est le matin, et il neige. De fines boules de coton qui viennent s'agripper dans mes cheveux comme pour les maquiller de perles d'hiver. J'imagine Paris qui de nouveau peut-être va s'habiller en blanc. Dans la campagne qui défilait par la fenêtre du train l'autre matin, il y avait la même blancheur glacée qui avait revêtu les champs et les branches des arbres. Une France devenue blanche, dont on ne distingue plus les couleurs et dont on doit seulement deviner les formes dissimulées. Je me disais que c'était incroyable cette pureté immaculée projetée sur ce monde si noir. Incroyable.Mais le plus incroyable, c'est que sous ce manteau blanc, j'ai eu l'impression ce jour là de découvrir des vérités cachées. Des masques sont tombés. Dans un café à Montparnasse, des amis inconnus m'ont accueilli en souriant et m'ont tendu un siège en me disant "assieds toi Eva". Personne ne m'avait appelé Eva dans la vraie vie. J'avais envie de me retourner pour voir quelle était la fille derrière moi qu'on appelait ainsi. Mais c'était bien moi. Eva avec un corps et un visage, et pas seulement une vie intérieure. On a appris à se découvrir, alors qu'on se connaissait déjà. Tout nous séparait - continents, métiers, ou encore âges - et pourtant ce lien secret tissé de mots nous a réunis autour de cette table. Il y avait trois Leffe et deux chocolats chauds. Et des sourires, et des regards. Et des aveux, et des non-dit. Et puis aussi du sirop d'érable.
L'après-midi était trop courte. On était pourtant bien tous ensemble. J'aurais voulu cependant pouvoir soulever encore plus profondément les masques et oser passer les barrières invisibles de la timidité, pour voir ce qui se cache sous la blancheur des pages qu'on n'écrit pas.