Paris n'en finit pas de ressembler à une ville de province. Je marche dans des rues désertées. Les boutiques ont disparu derrière les rideaux métalliques dans lesquels on a glissé un écriteau où il est inscrit "fermeture annuelle". Certes, au nord de la Seine, il y a des quartiers encore vivants. Depuis la voiture de O. qui m'emmène chez lui, je croise de grosses mamas africaines qui reviennent de chez Tati et de loin j'entends la rumeur des voix d'hommes dans les cafés obscurs devenus exclusivement masculins par la force des coutumes immémoriales. Mais dans les quartiers chics de la rive gauche, derrière les vitrines où l'on vend des meubles, des habits ou de vieux bouquins dont on ne daigne même pas afficher les prix, c'est le vide absolu. Cela en serait presque effrayant. Paris tout d'un coup sonne creux.Dans le R.E.R. non plus, il n'y a pas grand monde. Parfois, je suis assise à côté de filles ultra bronzées qui se racontent leurs vacances : "oui, tu vois, ils étaient hyper branchés là bas, et super cool en même temps... on faisait la fête tous les soirs, c'était trop génial...". D'autres fois, c'est une vieille dame avec des boucles d'oreille en forme de poisson bleus qui me fait face, plongée dans le dernier Harry Potter en anglais. Je ne vois plus la jeune femme noire aux (faux) cheveux longs et toute habillée de sombre que je croisais tous les matins à Montparnasse. Mais, il faut dire que depuis quelques jours je n'arrive plus à me lever tôt le matin et sans doute ne prenons-nous plus le même train.
Que garderai-je d'autre de cet été que la fatigue que je traîne depuis des semaines dans les poches de mes yeux ? Désormais, je commence à adopter le rythme de travail, sans plus voir dans les horaires de bureau le comble de l'horreur. Je me mets à penser que peut-être c'est normal de ne rentrer qu'à 20 heures chez soi, après avoir passé la journée enfermé dans un bureau à ne rien voir du monde. Mais peut-être est-ce que je ne pense cela que parce que je suis devenue incapable de penser. Le matin, lorsque j'arrive au boulot, Camille est déjà là. Le soir, quand je pars, elle n'est pas prête de partir. Je ne fais rien que la partie la plus ingrate du travail éditorial. Mais je me surprends à avoir envie de l'aider à tout faire pour que le bouquin sur lequel on travaille arrive à sortir dans les délais impartis. Mais du retard a été pris. Et Camille soupire en fumant cigarette sur cigarette. Le 30 août est la dead line : il faut que le Bon-à-tirer soit envoyé à l'imprimeur. Je pense au lecteur qui dans un peu plus d'un mois aura le gros exemplaire tout neuf entre ses mains. Jamais il ne pourra imaginer qu'une pauvre stagiaire y a usé une partie de son été. Pas pour y gagner des sous. Simplement parce qu'elle se cherchait.