La pluie tombe de façon drue. Si fort que si vous sortiez elle vous fouetterait le visage en gravant dans la peau de grandes marques rouges. Parfois elle tombe légèrement de côté, mais la plupart du temps sa chute est absolument verticale. La pluie qui tombe en cordes vient claquer le sol et balayer la rue à grands coups de jet. Il y a un petit peu dans Paris un air de déluge. Le tonnerre qui gronde au loin et le soir qui tombe en pleine après-midi. Je ne vois plus rien dans l'appartement. Mais je n'arrive pas à me décider à allumer la lumière. N'est-on pas au mois d'août tout de même ?Il y a cette humide nostalgie des jours de grande pluie. Le temps qui se laisse écouler doucement, bien plus doucement que les gouttes d'eau qui tapent au carreau. Il y a cette douce envie de ne rien faire, comme un non-désir qui viendrait habiter tout le corps. Chaque année, ce sentiment trouble revient aux jours de très grandes averses : comme si la pluie tombait... et moi avec.
Depuis mon retour de vacances, je ne fais pas grand chose de mes journées. Le temps passe et pour une fois je ne sais pas vraiment où il me mène. Quelque fois, j'ai l'impression d'être en vacances, comme autrefois - comme ces fins de mois d'août où l'on attend doucement la rentrée des classes. Mais je sais que cette année, il n'y aura pas de rentrée pour moi. Ni devant ni derrière un grand bureau et un tableau noir. J'ai peur que ce qui m'attend, ce ne soit qu'une longue inaction qui ressemblerait à un chômage qui tairait son nom. Alors je préfère garder l'illusion que dans quelques semaines, ce sera la rentrée qui m'attendra, et pas un grand vide. Je laisse donc les jours tomber avec fracas derrière la vitre de ma fenêtre.
Pour m'amuser, je joue les femmes au foyer. Je regarde Amour Gloire et Beauté le matin, juste après le départ de mon homme. Puis je vais donner mon cours à Rama, avant de revenir déjeuner à la maison devant la télévision. Vers 14 heures sur M6, il y a toujours un téléfilm romantico-tragique que je me regarde goulûment en faisant semblant de tout prendre au premier degré. Après le film, mon apathie est encore plus terrible. Alors je lis, ou bien j'écris, ou bien je furète dans mon ordinateur. Puis soudain, en fin d'après-midi, je me dis que je n'ai rien fait de la journée. Que ce n'est pas sérieux. Que je ne vaux rien décidément. Alors, tout d'un coup je m'active. Je me prends pour une épouse modèle. Je fais le ménage, en n'oubliant pas de passer l'aspirateur sous le tapis. Je nettoie la vaisselle, en grattant la grande casserole de riz. Je fais les courses à l'Intermarché, après avoir noté sur un bout de papier tout ce qu'il me fallait. Et puis je me mets devant les fourneaux, faisant semblant de cuisiner. Hier soir, pour une fois, O. n'avait plus qu'à se mettre les pieds sous la table lorsqu'il est rentré. Il s'est resservi plusieurs fois du hoummous que j'avais péniblement confectionné, prétendant fallacieusement qu'il était aussi bon que celui de sa maman.
Je joue parfaitement mon rôle de totale composition. C'est même plutôt marrant. Surtout quand on fait semblant de prendre tout ça au sérieux. Bien sûr, je sais que ça ne durera pas. Je sais que si j'interprétais ce rôle pendant plusieurs mois, sans rien faire d'autre dans mes heures perdues que regarder la pluie tomber par la fenêtre, je ne serais plus tout à fait moi. Le jeu n'est amusant que parce qu'il est temporaire. J'ai endossé le costume de femme au foyer comme si je m'étais déguisée pour Mardi-Gras. Ce n'est pas moi. Je joue simplement en attendant de vivre de nouveau ce qui ressemblera pour moi à une rentrée des classes. Et qui me fera troquer mon tablier et mon aspirateur contre mon stylo et du papier.