Lever aux aurores, car l'avion décolle à 8h30 de Roissy. Dans le premier métro à Gare du Nord, il n'y a que des Noirs - qui d'autre accepte de se lever si tôt pour aller travailler ? Dans la file d'attente à l'enregistrement des bagages, j'essaie de repérer les Libanais - une jeune fille avec de grosses lunettes de soleil Chanel et des talons aussi fins qu'une aiguille, une famille qui ne peut simplement faire du tourisme au vu de la demie tonne de bagages qui s'entassent sur le chariot... Ce sont plus les attitudes et les postures qui trahissent les Libanais que leur couleur de peau ou leur apparence physique.
Le vol - direct - me semble passer vite. Aujourd'hui, les avions sont si bien équipés que je passe la plupart du voyage les yeux rivés sur le petit écran incrusté dans le siège à regarder des films plutôt qu'à m'ennuyer et à souhaiter que le temps passe plus vite. Je n'ai même pas le temps le temps d'ouvrir un des nombreux livres que j'ai apportés ! Déjà, le bleu de la mer se profile par le hublot de l'avion. A droite le bleu sans fin, à gauche la ville qui envahit la montagne. Il est 13h40 heure locale et il fait 25°C.A peine ai-je posé le pied au sol que je suis saisie par la chaleur humide qui ne ressemble en rien à celle des étés français. Dès que nous avons franchi la douane, nous apercevons les parents d'O. qui nous font de grands signes. Ca y est, je suis au Liban. Après tant de mois à rêver de ce pays, je vais enfin le vivre.
Je me laisse guider. A partir de maintenant, j'ai l'impression de ne pas savoir faire autre chose que suivre les autres. Agrippée sur le siège arrière de la voiture, je vois mes premières images du Liban défiler devant les yeux. Des voitures partout, dans tous les sens. Beaucoup de Mercedes - toutes cabossées, mais des Mercedes quand même (le Libanais tient à son image, on m'avait bien prévenue !). Ca klaxonne, ça roule, ça double à droite, ça tourne sans clignotant. J'essaie de ne pas avoir peur et de trouver comme tout le monde normal qu'un type traverse à pieds en plein milieu de l'autoroute... mais quand même, j'ai du mal !
Beyrouth me semble immense. Une ville tentaculaire perchée sur des montagnes d'où de grands immeubles ocres aux petites fenêtres regardent la mer. Les habitations se ressemblent - sauf qu'un certain nombre d'entre elles ne sont que des ruines. Des carcasses d'immeubles sans fenêtre ni porte, dont les premiers étages sont parfois quand même habités. Les rues montent et descendent. Quand on lève les yeux, on voit des files électriques pendre dans tous les sens. Ici, la signification du mot ordre ne semble pas connue.Il fait chaud. On est coincés dans les embouteillages. Plutôt que de rester bloquer dans la voiture, les parents d'O. décident d'aller voir des cousins. Présentation à la famille. Je suis "la fiancée d'O." - titre officiel qui facilite les civilités. Tout le monde s'assoit autour d'un grand salon... et parle arabe. Je ne comprends rien - même si je devine souvent les sujets de conversations. Comme c'est frustrant de ne pas connaître la langue que tout le monde parle ! J'écoute avec attention - mais quand on n'a aucun rudiments de la langue, cela ne peut pas suffire. La mère d'O. a dit à tout le monde que je parlais le libanais, car un jour j'étais venue chez elle et avait récité les deux ou trois phrases types apprises dans les pages "Conversation" de mon guide touristique. On me dit de parler... mais je ne sais dire que "ismé Eva" ("je m'appelle Eva"). Je me sens un peu ridicule. Heureusement, les cousins d'O., de notre génération, parlent français. Je me sens moins perdue.
Puis on reprend la voiture jusqu'au village de la mère d'O. où se situe la maison dans laquelle nous allons loger. La maison est immense - toute marbrée - magnifique. Trois salles de bain, autant de salons. La villa - ici, on dirait plutôt le "chalet", puisque c'est ainsi qu'on nomme toute résidence secondaire à la campagne - a été construite il y a une dizaine d'années. Elle n'est encore que partiellement meublée, les parents d'O. n'y vivant que quelques mois à peine dans l'année. Certaines pièces sont à moitié vide, si bien qu'on entend presque l'écho de nos voix. Le jardin est lui aussi pas mal du tout : partout des oliviers, là un avocat, ici un figuier... et puis surtout là bas, au loin, en contrebas des montagnes, la mer. Ici, c'est si différent de Beyrouth : on respire.
Le soir est déjà tombé lorsque nous recevons un coup de fil de l'oncle d'O., étonné de ne nous avoir pas encore vus alors que nous sommes arrivés en début d'après-midi. Deux minutes de voiture et nous sommes devant une maison encore plus grande que celle des parents d'O. Je ne vois que le jardin, mais il est magnifique : hamac et fauteuil sous des vignes grimpantes, et plus loin un grand barbecue et une installation pour faire l'arak - l'apéritif local à base d'anis. De nouveau, je suis au milieu de gens que je ne connais pas et qui parlent une langue inconnue. Heureusement, l'anglais me permet de comprendre et d'être comprise.