Matinée tranquille à la maison pour nous reposer et préparer le programme de nos vacances. Et puis la maison est si agréable qu'il serait dommage de ne pas en profiter. Dans la cuisine, la mère d'O. m'explique que lorsqu'elle a fait construire la maison par son frère (qui est entrepreneur), elle a tenu à ce que l'habitation soit au maximum indépendante. Il y a ainsi une grande citerne qui récupère l'eau de pluie et qui alimente tous les robinets. Bien entendu, cette eau n'est pas potable, mais il est d'usage dans les cuisines libanaises de trouver deux robinetteries, l'une pour laver la vaisselle, l'autre pour boire. Dans un pays qui a été en guerre pendant plus de 15 ans, le souci d'être autonome en eau et en électricité est constant. La mère d'O. me raconte par exemple que pendant le conflit les musulmans avaient détruits les canalisations des maisons chrétiennes - prolongeant les combats religieux jusqu'à l'économie domestique.Après un bref déjeuner, nous voici en route pour Byblos - Jbeil en arabe. A l'autoroute à quatre voies, nous avons préféré la petite route qui longe la côte en contrebas, bien moins fréquentée et bien plus agréable. Sur le bord de la route, nous croisons des casemates de militaires - désertées pour la plupart. Il y a encore 6 ou 7 ans, les soldats syriens étaient présents partout au Liban. Les routes étaient interrompues par de nombreux barrages. Lorsque les gens ne s'arrêtaient pas au contrôle, les Syriens coinçaient des scies sur la route, crevant les pneus du véhicule et le contraignant un arrêt définitif. Aujourd'hui, même si les Syriens sont un peu moins présents dans le pays, on en croise toujours à de nombreux carrefours. La mère d'O. dit que leur occupation est aujourd'hui financière, puisqu'ils forcent les Libanais à leur reverser de l'argent d'une façon ou d'une autre. Je ne sais pas quelles sont les portées de ces pressions, mais ce qui est certain, c'est que les Syriens, qui ont aidé en leur temps le Liban à se libérer de la guerre, occupent depuis plus de dix ans le pays de façon discrète, mais néanmoins ferme. Un grand nombre des membres du gouvernement libanais sont corrompus et ne font rien pour remettre en question la main mise de Damas dans les affaires internes. On sent pourtant que c'est un facteur de tensions indéniables pour les Libanais.
De loin, Byblos semble une ville outrageusement construite, comme la plupart des villes du Liban. Mais lorsqu'on s'approche, on voit que le centre-ville a été préservé et aujourd'hui ouvert au tourisme. A l'entrée du petit port de pêcheurs s'élève une tour médiévale annonçant le Château des Croisés qui s'élève plus haut sur la colline et trahissant le passé fortifié de la ville. Mais ce témoignage de l'histoire n'est qu'une des traces des nombreuses périodes qu'a vécu la ville, vieille de près de 7 000 ans. Communauté néolithique puis chalcolithique, nomades Amorrites venus d'Arabie, influence égyptienne, invasion hittite puis victoire des Peuples de la Mer, contrôle assyrien puis chaldéen, succession des périodes hellénistique, romaine et byzantine, assaut des croisés, domination ottomane et mamelouke... Bref, c'est toute l'histoire du Liban - ou plutôt de la Phénicie -, voire de l'Humanité, qui se résume dans cette cité antique. Nous pouvons nous rendre compte de cette richesse historique en visitant pendant un long moment le musée archéologique. Le site, découvert en grande partie par Ernest Renan au XIXe siècle, s'élève au-dessus de la mer, juxtaposant tombeaux royaux du IIe millénaire et théâtre romain. En regardant au loin la mer, qui s'étend au pied du Mont Liban, on se dit que décidément les peuples d'hier savaient trouver le meilleur endroit pour vivre.
La vieille ville comprend en son coeur des souks vendant des produits supposés typiquement orientaux et destinés essentiellement aux touristes. La promenade dans les rues pavées est pourtant délicieusement dépaysante.
De retour au village, nous allons aussitôt chez une autre tante d'O. C'est encore là une visite "obligatoire". Je sais que ces visites à la famille seront nombreuses - la mère d'O. ayant 6 frères et soeurs, et son père 7... ce qui fait plus du triple de cousins et cousines pour O. ! Heureusement pour moi qui ne suis pas une adepte des réunions de famille, un grand nombre d'oncles et de tantes sont aujourd'hui à l'étranger - comme une large majorité de Libanais, d'ailleurs. La maison dans laquelle nous pénétrons est encore plus grande que celles que j'ai visitées hier. Trois niveaux d'habitations... presque un immeuble ! Présentant sa fiancée, O. est accueilli à coup de "Mabrouk !" ("Félicitations !"). On s'assied dans un grand salon sous la véranda, la bonne apportant des cafés et du raisin. Dans les familles libanaises aisées, il est courant d'avoir une bonne à tout faire, vivant au sein même de la maison et constamment au service de ses maîtres. Presque toujours, ce sont des jeunes femmes qui viennent du Sri Lanka, du Vietnam ou du Soudan. Elles ne parlent pas toujours la langue de leur pays d'adoption et d'ailleurs n'y sont pas du tout intégrées, puisqu'elles ne quittent pas la famille pour laquelle elles travaillent. Habituée à d'autres moeurs, je suis un peu choquée de voir ainsi les "bonnes" travailler pour peu : en France, cela fait un siècle qu'on n'accepte plus ces conditions sociales ! Mais j'imagine qu'il faut se dire que la jeune fille vit malgré tout bien mieux que dans son pays d'origine où, peut-être, elle mourrait de faim...
Perdue dans une conversation à laquelle je ne comprends rien, j'essaie de sourire pour dissimuler mon mutisme. Soudain, la tante d'O. disparaît et revient avec dans les mains un petit bracelet doré. D'abord étonnée de ce cadeau inattendu, je suis touchée par cette attention. O. me dit que ça y est, je suis acceptée par la famille - comme si j'avais passé un examen de passage implicite. La soirée se poursuit tandis que l'oncle d'O. essaie de m'apprendre l'arabe. Il me dit que c'est "très facile"... mais je suis très sceptique !
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