Mercredi 8 septembre 2004

Un chantier vivant
Départ le matin pour Beyrouth. Nous allons y passer quatre jours, chez la famille du père d'O. Une tante d'O. habite avec son frère dans l'appartement familial situé dans le quartier d'Achrafieh. Du côté paternel, presque tout le monde est francophone, contrairement à la branche maternelle de la famille. Je vais ainsi pouvoir un peu comprendre ce dont on parle. O., quant à lui, n'est pas mécontent de prendre un peu de distance avec ses parents. On va pouvoir se débrouiller tout seuls et faire ce que l'on veut, sans dépendre des parents et de le leur voiture. Tant pis si on se perd ou si on ne sait pas lire les panneaux. Après tout, ça aussi, ça fait partie du voyage, non ?

A peine est-on entré dans Beyrouth, qu'on est surpris par la différence d'ambiance qui règne dans la capitale, par rapport au petit village où nous avons passé les jours précédents. Il n'y a plus ici cette tranquillité et cette douceur de vivre qu'il y avait dans le village. La chaleur est plus étouffante et le silence est inexistant : bruit incessant des klaxons, mouvements des voitures dans tous les sens, poussière et coups des marteau-piqueurs... Tout bouge dans Beyrouth. Il ne faut pas venir ici pour espérer s'y reposer.

Place des Martyrs

Après un déjeuner rapide, nous partons vers le centre-ville avec Salim, l'oncle d'O. Cet oncle, qui a vécu près de quarante ans au Vénézuela et qui est revenu prendre sa retraite dans son pays natal, redécouvre presque avec nous Beyrouth. La ville change à une allure folle. Mois après mois, le centre-ville prend des visages différents. Le Beyrouth d'aujourd'hui, au centre entièrement reconstruit, n'a plus de commune mesure avec le Beyrouth d'il y a quinze ans, celui qui sortait péniblement de la guerre. Ce Beyrouth renouvelé ne ressemble pourtant pas pour autant au Beyrouth d'il y a trente ans, lorsque la capitale battait son plan et était toute la vitrine du Moyen-Orient. A vrai dire, Beyrouth ne ressemble jamais à Beyrouth : c'est presque la seule vérité qu'on puisse dire sur cette ville aux mille visages. On constate bien ces paradoxes dès qu'on se balade dans la ville : la "vieille ville" est en fait toute neuve, mais en même temps encore inachevée. Il y a des travaux à tous les coins de rues, comme si la capitale était un énorme chantier de reconstruction. Des bâtiments neufs et entièrement restaurés, aux façades de verre ultra-moderne, jouxtent des immeubles en ruine, dont les murs sont criblés d'éclats de balle et qui sont parfois abandonnés, parfois encore habités. Beyrouth semble vouloir oublier la guerre et tout recommencer à zéro, en faisant table rase du passé. Oncle Salim nous dit que ce ne sera pas la première fois que Beyrouth se reconstruit : comme aiment à le rappeler les Beyrouthins, la ville a été détruite et reconstruite sept fois au cours de l'histoire, ayant subi des tremblements de terre successifs. Pourtant, si partout d'énormes travaux sont entrepris pour faire oublier la guerre, on voit ça et là des ruines et des immeubles déchiquetés. Les trous dans les murs laissent entrevoir la violence des combats de rue il n'y a pas si longtemps. Mais suis-je capable, moi, d'imaginer vraiment l'horreur qui a dévasté la ville ? N'est-ce pas au-delà de tout effort de visualisation quand on ne l'a pas soi-même vécu ?

Un exemple d'une rue en construction : à gauche avant, à droite après

Nous suivons Oncle Salim dans les rues. Place des Martyrs, alias place des Canons. La place est connue pour avoir été le théâtre de violents combats en 1975-1976. Mais aujourd'hui, c'est un vaste terrain vide, aménagé en parking. La statue criblée de balles qui identifiait l'endroit est en ce moment en réparation et son absence rend la place complètement anonyme. Un peu plus loin, nous entrons dans la Cathédrale Saint-Georges. Cette église maronite se trouve à côté d'une grande mosquée en construction. C'est là ce qui définit le centre de Beyrouth : un mélange omniprésent des religions, une cohabitation d'églises maronites, orthodoxes, arméniennes et de mosquées. A certains endroits, les édifices religieux semblent même se faire concurrence, chacun paraissant rivaliser avec son voisin. Il y a près de quinze communautés différentes vivant au Liban. Même si certaines sont peu présentes (les catholiques par exemple), toutes se doivent d'être représentées. En se promenant dans la ville, au milieu de tous ces édifices religieux si différents, on a l'impression, de loin, qu'il y a ici une réelle acceptation de l'autre et un désir de vie en communauté. En réalité, en parlant avec les Libanais d'ici, j'ai plutôt la conviction qu'il s'agit d'une simple tolérance : les différentes communautés vivent les unes à côté des autres, mais pas véritablement ensemble. Simple juxtaposition, au fond, et non pas union ou même seulement réunion.

la grande mosquée en construction

Oncle Salim découvre avec nous le tout nouveau jardin K. Gibran. Un peu de verdure et un grand immeuble en verre - cela ressemble si peu à Beyrouth. On a ici un exemple de l'apparence que veut se donner la nouvelle ville. La rue Maarad a été transformée en rue piétonne, ce qui permet enfin de marcher sans crainte (ce qui arrive rarement pour un piéton à Beyrouth !). Les nombreux restaurants à la mode donnent, là aussi, un aspect moderne à la ville qui semble vouloir à tout prix s'occidentaliser. La Place de l'Etoile, elle aussi toute neuve, est bien agréable. Une exposition avec de très belles photos nous permet de visionner les sites les plus touristiques du Liban. Nous jetons un coup d'oeil sur quelques ruines romaines, préservées et intégrées au nouveau décor, et admirons les mosaïques. Oncle Salim tient, semble-t-il, à nous amener à l'immense Virgin Mégastore situé pas très loin de là. Le grand magasin ressemble comme deux gouttes d'eau à son collègue des Champs-Elysés - même dans ses choix de livres et de CD, puisque beaucoup d'ouvrages en français, d'éditions françaises, sont importés là bas. En fait, il y autant de livres en français et en anglais que d'ouvrages en arabe. Le trilinguisme est partout.

Place de l'Horloge

Mais l'après-midi est à peine terminée que déjà nous devons revenir à la maison. Le père d'O. vient nous chercher vers 17 heures pour commencer (une nouvelle fois) le défilé des visites à la famille (maternelle). Un sirop de mûre dégusté chez une tante, un délicieux gâteau goûté chez une cousine qui vient d'avoir un bébé, un bon repas dans un magnifique restaurant de bord de mer... Tout le monde est très gentil et très accueillant. Mais au bout de trois ou quatre heures de discussions familiales (en arabe) sous la climatisation poussée à fond, un mauvais mal de tête me vient et avec lui l'envie d'être soudain ailleurs. Non, je ne suis pas associable ni ne fais la tête... je fais juste une overdose de famille ! Au Liban, il est normal d'être les uns chez les autres et de se rendre ainsi quotidiennement visite, à toute heure de la journée. Dans ma famille à moi, ce n'est pas vraiment nos habitudes (on peut ne pas se voir pendant des années, c'est dire...), et du coup j'ai du mal à faire bonne figure. J'espère au moins qu'on m'a déjà pardonné mon manque de vitalité de ce soir !

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