Cela fait plusieurs semaines que j'envoie des CV maintenant, mais je n'ai reçu aucune réponse. Rien, néant total. Pas même des courriers hypocrites aux formules toutes faites "nous sommes au regret de..." En fait, les seules réponses que je reçois, ce sont les mails automatiques envoyés aveuglément par une machine. Par exemple, si vous envoyez un CV chez Gallimard, une minute plus tard la DRH vous répond bien aimablement : "Nous avons le regret, dans l'immédiat, de ne pas pouvoir répondre favorablement à votre demande." Et d'ajouter, comme par provocation, étant donné qu'il est évident que personne n'a lu le CV : "Ceci ne met nullement en cause les qualités et l'intérêt de votre candidature" Si ce n'était pas pathétique, je trouverais ça franchement comique. Ce silence unanime de tout ce qui ressemble de près ou de loin à une maison d'édition me laisse assez sceptique : mon "parcours professionnel", comme on dit quand on veut adopter le vocabulaire de l'entreprise, est-il si ridicule qu'il ne suscite pas le moindre intérêt ? Suis-je tant à côté de la plaque ?Je n'ai pas vraiment de réponses, mais au moins, depuis une semaine, j'ai arrêté de me poser des questions à m'en donner mal à la tête. Car, Dieu merci, ceux qui me connaissent en vrai et n'ont pas vu seulement ma tronche sur mon CV semblent un petit peu plus intéressés par mon boulot. La semaine dernière, une éditrice avec qui j'ai travaillé en stage m'a rappelée pour me proposer un contrat : la structuration et la réécriture (et même l'écriture tout court d'ailleurs) d'un manuel scolaire. C'est pas un vrai travail, au sens où j'aurais à être dans un bureau de 9 h à 18 h, avec des collègues que je retrouverais à la machine à café ou à la cantine, puisque c'est payé en droits d'auteur et que je travaille chez moi sur mon ordinateur. Je suis considérée comme "auteur" - ou du moins "rewriter" - et pas comme employée de la boîte. Mais au fond, c'est ce que je préfère : être chez moi, travailler à mon rythme... et surtout écrire et inventer. Ce n'est pas de la haute littérature. Mais enfin, je fais ce que je sais faire : préparer des cours, avoir un souci pédagogique pour transmettre des connaissances et communiquer un savoir. Et puis en plus, je n'ai même pas à affronter les élèves ! J'ai le plus beau rôle du prof en somme.
J'ai commencé à travailler sur les manuscrits. Très vite, je me suis souvenu comme ce n'était pas évident de travailler chez soi. D'abord il faut s'y mettre, ensuite il faut y rester, et enfin il faut... arrêter ! Ce n'est pas facile de s'y mettre, car on a toujours quelque chose à faire : le ménage, les courses, la lecture du journal... que sais-je encore ! Il n'y a pas le regard extérieur qui vous culpabilise parce que vous n'êtes pas encore au boulot. C'est à soi-même de se dire : j'allume mon ordinateur et je me concentre devant. Ensuite, il faut rester à ce qu'on fait et ne pas céder aux tentations environnantes : le butinage invétéré sur internet, le zappage à la télé, ou encore les jeux du chat en manque d'amusement (Hannah déteste me voir travailler sur mon ordinateur et fait tout attirer mon attention !). Enfin, une fois lancé, ce n'est pas si facile de s'arrêter. Je n'aime pas tout laisser en plan, parce que c'est l'heure de manger par exemple. J'ai du mal à me mettre au travail, mais une fois que je suis plongée dans une tâche, je m'en défais difficilement. Résultat, il est le milieu de l'après-midi et je n'ai toujours pas déjeuné - ça m'arrive presque à chaque fois. Et puis, l'autre difficulté à travailler seul chez soi, c'est de ne voir personne. Toute la journée, je suis devant mon ordinateur, le nez dans mes travaux, et je ne vois pas âme qui vive. Ce n'est pas tant que cela m'ennuie, car au fond lorsque j'étais étudiante, puis prof, je faisais exactement la même chose. Mais enfin, lorsque O. revient le soir, il me raconte sa journée... et moi je n'ai rien à raconter ! Je n'ai rien vu, rien entendu. Juste la télé et un ou deux mails. Ca rend les dîners un peu tristes, comme s'il ne m'était rien arrivé de la journée et que, du coup, on m'avait dérobé la parole.
Je ne sais pas combien de temps cette vie un peu bizarre va durer. A vrai dire, j'attends d'avoir vraiment signé le contrat avant de me dire que j'en ai pour quelques mois à être dans la peau d'une auteur-rewriter (je suis superstitieuse, on ne sait jamais...). Mais au fond, ce n'est pas sans me déplaire. Car j'ai jamais vraiment trouvé les histoires de mes collègues intéressantes à la machine à café. Au moins, seule devant mon ordinateur, je ne suis pas obligée de les écouter !