Soirée-conférence sur "la communication dans le couple" organisée par les équipes paroissiales préparant au mariage. On n'est pas obligé d'y aller. Mais un peu quand même. Et puis la première réunion organisée par ces "CPM" (centres de préparation au mariage) nous avait plutôt agréablement surpris : on y avait rencontré des gens sympas et ouverts, nous offrant l'occasion de réfléchir sur le mariage au-delà de ses aspects purement matériels et commerciaux. Alors, pourquoi ne pas réitérer l'expérience ? Tant pis si les obligations professionnelles nous obligent à courir et à sauter un repas pour nous rendre à l'heure au lieu de réunion.Pas mal de monde dans la grande salle. Que des couples, bien entendu. A part quelques rares exceptions, tous se ressemblent - tous nous ressemblent peut-être : jeunes cadres de 25-30 ans, propres sur eux, sans histoire. A côté du clan des "jeunes", celui des "expérimentés" - les animateurs de la soirée, ceux qui ont déjà 10, 20 ou 30 ans de vie commune. On les reconnaît facilement par leur air bon chic bon genre, leur petit côté catho-mais-pas-trop.
Voilà, c'est l'heure, ça commence. Quelques couples s'installent derrière des tables, sur ce qui sert de scène. Ils ont des tas de papiers qu'ils feuillettent ou lisent ligne à ligne, selon leur aisance à l'oral. "Alors, on va vous parler de la communication dans le couple !", annonce fermement une jeune femme dont on ne sait rien, sinon qu'elle parle en tant que femme mariée et catholique. "Alors, d'abord, communiquer, c'est important ! Vous devez communiquer !" Le ton est prescriptif. D'emblée, cela me gêne. L'exposé se poursuit par le résumé d'un ouvrage sur les "langages de l'amour" : comment parler à son conjoint, pourquoi c'est important de lui parler quotidiennement. De petits sketchs, joués maladroitement, viennent illustrer les propos théoriques. Tant de sollicitudes pour démontrer l'importance de la parole dans un couple seraient plutôt touchantes. Sauf que je me demande tout de même ce que je fais là. J'ai un peu l'impression d'écouter la lecture d'une (bonne) copie de dissertation de philo d'élève de Terminale, le tout agrémenté des poncifs de Les hommes viennent de Mars... et saupoudré d'une improbable version catho de Ca se discute. Peut-être suis-je trop sur la défensive. Mais pourquoi faire de la communication un précepte ? Pourquoi transformer un lien naturel entre deux personnes en une injonction quasi indiscutable ? "Si vous ne communiquez pas, vous allez vous détournez de l'autre et finir par être infidèle ! La non-communication est la source de tous les maux !" Ira-t-on jusqu'à dire que le silence est un péché ? Non, le discours moralisateur ne va pas si loin...
Cependant, au paroxysme de la conférence, un intervenant sort une évangile : "Maintenant, nous allons lire un passage de l'Evangile. Le passage où Jésus rencontre la Samaritaine et lui demande à boire." J'écoute doctement. La lecture du texte est suivie par des débats, entre petits groupes : "Alors, que pensez-vous de la communication entre Jésus et la Samaritaine ? Comment s'exprime l'amour ?" J'ai les yeux rivés sur le texte, pour ne pas croiser un regard qui donnerait l'idée de m'interroger. Je me donne l'impression d'être une écolière vaguement prise en faute. Je reste dans mon coin, sans oser dire ce qui me paraît essentiel : ce texte n'a rien à voir avec la communication dans le couple ! Jésus et la femme de Samarie ne sont pas un couple : à peine viennent-ils de se rencontrer au bord de la fontaine ! Mais déjà des dames nous expliquent le sens de l'Evangile : le don et la confiance de Jésus qui révèle qui il est à une femme de mauvaise vie - non juive qui plus est - ; la difficulté pour la femme, surprise dans un geste quotidien, à comprendre le sens profond des paroles du Christ qui vient lui annoncer qu'il possède "l'eau vive"... Enrichis par cette pieuse lecture, nous terminons la séance par un Notre-Père qui vient délibérément rappeler que, sous couvert d'une libre discussion sur la communication dans le couple, il s'agit avant tout de croire au mariage chrétien.
J'aurais pu me sentir un peu piégée à la sortie de cette conférence, comme si, quelque part, je m'étais fait avoir : je pensais qu'on allait parler du couple, de la relation à deux... en fait, on nous a parlé de la relation à Dieu. Mais à vrai dire, tout cela m'a plutôt amusée. J'ai l'impression d'avoir fait l'espace de quelques heures un bon dans le passé, comme si j'avais été projetée 20 ans en arrière. J'ai huit, dix, treize ans. C'est le mercredi matin et je n'ai pas école, mais je me lève comme tous les autres jours de la semaine. Ce matin, à dix heures, c'est "caté" - "KT" comme certains écrivent sur leur cahier, anticipant bien avant l'heure le langage SMS. J'aime bien le catéchisme. J'y retrouve la plupart de mes copains de l'école publique. Pour moi, c'est normal d'aller au catéchisme le mercredi matin. Je ne me pose pas même la question d'y aller ou pas. Je ne m'étonne même pas que certains camarades ne s'y rendent pas. De toute façon, dans la banlieue chic où j'habite, il n'y a pratiquement pas d'autres "minorités religieuses" et quasiment pas d' "enfants issus de l'immigration", comme on dirait aujourd'hui. Le caté, pour moi, c'est comme l'école, mais en plus amusant. On se rend dans les salles un peu délabrées du presbytère et on se réunit autour de tables disposées en carré. On nous lit des histoires. Ce sont des histoires un peu merveilleuse où un homme marche sur les eaux et change l'eau en vin. Ce sont des histoires d'un autre temps qui donnent envie de voyager. Encore aujourd'hui j'ai en tête ces noms de terres si exotiques à mes oreilles d'enfant : Jérusalem, Judée, Samarie, Sinaï... Ces histoires sont faites de magie et de rêve. Je ne comprends pas tout ce qu'on me raconte. Mais je sais que j'ai envie de remonter le Jourdain avec Jésus ou encore de rencontrer Marie, la maman de Jésus, qui a l'air si douce et si gentille. Mais les dames du caté ne font pas que nous lire des textes. Elles écrivent sur de grands tableaux composés de feuilles blanches les mots importants que nous devons recopier dans notre cahier : Amour, Foi, Dieu, Esprit-Saint... Dans notre livre de catéchisme, il y a des dessins de Jésus avec sa grande barbe brune. Il ouvre les bras vers ces hommes et ces femmes qu'il aime spontanément, sans même les connaître. Les dames du caté nous commentent l'image et nous disent : "Vous devez aimer votre prochain, comme l'a fait Jésus !" Je ne demande qu'à croire, comme elles l'expliquent, qu'il faut tendre l'autre jour lorsqu'on reçoit une gifle. Jésus est si bon, si grand, si beau. Il est un des héros de mon enfance. Comme Godorak. Comme Jean Valjean dans les Misérables. J'apprends la vie en ayant le béguin pour ces hommes forts qui sont venus sauver le monde. Dans ma tête, tout n'est pas très clair. Les rêves et les fantasmes se mélangent aux bonnes paroles de la Bible. Mais je crois tout ce qu'on me dit. Sincèrement. Totalement. Je crois que Dieu est là, près de moi, et me regarde. Je crois qu'il vient en aide à tous les hommes. Je crois qu'il est la Vérité. Je n'imagine même pas que cette vérité que Jésus incarne et pour laquelle il s'est sacrifié puisse exister autre part qu'en Lui. Je ne sais pas ce que veut dire douter. Je suis naïve et crédule dans les plus beaux sens du terme : mon ingénuité enfantine est ce qui me fait aimer la vie et l'accueillir pleinement dans sa richesse.
L'autre soir, cette conférence organisée par ces équipes de bénévoles chrétiens m'a fait me remémorer tous ces mercredis passés sur les bancs des salles paroissiales. Aujourd'hui, ce ne sont plus ni les mêmes lieux, ni les mêmes personnes, ni les mêmes circonstances. Mais les "dames caté" n'ont pas changé. Certaines portent encore leur jupe plissée bleu-marine et n'ont pas quitté leur chignon plaqué au-dessus de la nuque. Elles ont toujours ce petit côté sympathique qui vous donne l'impression d'être écouté et accueilli. Elles ont toujours ces mêmes présupposés positifs sur les gens, comme si elles savaient aimer sans distinction, comme leur a appris le Christ.
Pourtant, le temps a tout changé. Je ne suis plus crédule. Pire, je ne crois plus. Je n'entends plus Dieu. J'ignore où Il se trouve. Je me suis même mis à douter de Son existence... à penser, peut-être, qu'Il était mort. Les années ont passé et j'ai appris à douter, à penser, à chercher sans forcément trouver, à contester, à refuser. J'ai ouvert les yeux. Ou bien, j'ai appris que je pouvais m'en servir. En tout cas, je ne vois plus le monde de la même façon. Je sais que Jésus n'est pas Superman. Je sais aussi que l'amour universel est souvent trop lourd à porter et qu'il peut mener à la mort. Aujourd'hui, mon regard est distancié : se sacrifier ? pourquoi ? pour qui ? Je sais que le monde dans lequel nous vivons est peut-être plus fait de haine et de violence que d'amour et de partage. Je sais aussi que pour y survivre on doit lutter et pas seulement croire. Même Jérusalem a perdu la magie envoûtante de mes rêves d'enfant : Jérusalem est devenue une ville déchirée par des religieux qui tous prétendent posséder la Vérité et la défendre par les armes et le sang contre les vérités des autres Dieux. Aujourd'hui, je ne peux entendre le discours de l'Eglise de la même façon que dans mon enfance. J'ai appris à déchiffrer les paroles et à lire derrière les contextes culturels et historiques. En toutes choses désormais, je me suis fait un commandement de juger - c'est-à-dire de faire la part des choses.
Aujourd'hui, on peut bien essayer de m'expliquer, en dégageant les meilleurs talents herméneutiques, qu'il y a dans un texte ce qui n'y est pas en toute évidence. On le peut, mais on ne peut pas pour autant me forcer à croire. Si j'accueille le discours de l'Eglise aujourd'hui, c'est par nostalgie de mon enfance et respect des croyances. Et non par foi. Et non par certitude. J'aimais bien les dames du caté. Je veux bien continuer à les écouter et lire avec elles les textes qu'elles me proposent. Mais leurs discours n'ont plus la même force. Leurs histoires ne me font plus rêver. Je les regarde désormais d'un oeil sociologique, psychologique, ou humoristique - selon l'humeur.