Répétitions
L’hébergeur de ce site a probablement modifié ses paramètres et voilà un moment que je n’arrive plus à me connecter à mon FTP. Je l’avoue, j’ai un peu la flemme d’aller fouiller pour voir ce qui ne va pas chez Free. Alors en attendant mes entrées restent off line. Je me dis que ce n’est pas plus mal finalement. Écrire comme ça, dans le secret de mon ordinateur, sans envisager aussitôt la mise en ligne. Je me dis surtout que c’est là une preuve que mon rapport à ce journal public a profondément changé par rapport à mes débuts sur Internet. Il y a dix ans, ne pas pouvoir mettre en ligne mes textes, cela aurait été pour moi comme la fin du monde. J’exagère. Mais pas tant que ça : j’aurais trépigné, râlé, maudit l’informatique et ses lois secrètes, et passé des heures sur les forums pour trouver comment refaire marcher ce fichu FTP. A cette époque, un texte écrit qui n’était pas mis en ligne n’était pas pour moi complètement fini : c’est comme s’il avait été amputé d’une part de lui-même – d’une part essentielle lui donnant sa raison d’être.
Aujourd’hui – du moins en ce moment – l’écriture dans les Regards ne m’est plus consubstantielle. Peut-être n’ai-je plus vraiment besoin d’écrire ici pour savoir qui je suis. Peut-être n’ai-je plus la nécessité de dérouler les mots dans cet espace pour prouver que j’existe. Pourtant, après tous ces mois de silence, l’écriture dans cet espace apaisant et reculé qu’est mon journal me manque un peu. Ce qui me manque, c’est ce rapport régulier, presque rituel, à l’écriture du quotidien : cette fenêtre ouverte sur cet espace secret, à l’écart du monde et de ses bavardages, ce pays éloigné dans lequel je me sens libre de me regarder telle que je suis. Ces derniers temps, je l’avoue, j’ai goûté au blog. Pas ici, mais ailleurs, dans un tout autre espace : j’ai ouvert un blog et ça m’a amusée. Pire encore, je me suis aperçue que j’aimais écrire un blog, pas seulement pour l’écriture, mais pour tout ce qui l’accompagne – les contacts, les commentaires, le sentiment (illusoire) de faire partie d’un groupe et d’avoir un public. Mais plus je rentre dans le jeu du blog là-bas, plus je suis fermement convaincue qu’ici doit être un espace préservé de la logique des blogs. Pas de commentaire, pas de fan-club, pas de concours d’audimat… pas de représentation d’une image inventée (plus ou moins fidèle) de moi-même. Ici, plus qu’ailleurs, je me sens libre. Libre de dire ou de ne pas dire. Libre d’être moi-même. Sans avoir à chercher à plaire. En n’entrant pas dans le jeu des commentaires publics et des discussions affichées, je peux écrire sans avoir à me demander ce que les autres pourront en penser, écrire sans me sentir obligée de dire ce qu’on attend de moi, garder le silence sans m’inquiéter de perdre de l’audience ou de décevoir. Bien sûr, c’est relatif. Si mon journal était vraiment privé et non pas public (malgré tout), cette liberté serait encore plus grande – ou du moins serait moins illusoire. Mais enfin je reste fidèle à mon mode d’écriture. J’aime à penser que ce journal est né avant les blogs et que, peut-être, il restera bien après que les blogs soient passés de mode.
Pourtant, il y a une menace qui guette ce journal. Une menace dans laquelle je m’enferme, années après années. Le temps passe et, de plus en plus, j’ai l’impression de me répéter. Parfois, je me dis « à quoi bon ? j’ai déjà parlé de ça ». Parfois, je pense « pourquoi de nouveau revenir sur le sujet ? je radote ». Mon journal paraît bégayer. Je me répète, et lui il tourne en rond. Est-ce le désir d’écrire qui s’épuise ? Ou bien ma vie qui s’étire dans la routine ? Je ne sais plus vraiment si c’est moi qui répète ma vie en ressassant les mêmes doutes, les mêmes peurs, ou si c’est ma vie qui se répète et m’oblige à redire toujours les mêmes obsessions (l’ennui, le temps qui file, la peur qui ronge). Je crois que si les Regards sont un peu à l’abandon, c’est que je n’ai pas réussi encore à inventer une nouvelle façon d’écrire ici. Écrire ce que je suis vraiment, dans la même intimité préservée, mais avec l’enthousiasme renouvelé des débuts. Je n’ai pas envie qu’ici se termine. Mais je n’ai pas envie non plus que cet espace perde de sa force et de sa nécessité.
Pas si facile au fond de trouver une écriture à sa mesure…
Il y a un an.
Il y a deux ans. Il y a trois ans. Il y a quatre ans. Il y a cinq ans. Il y a six ans. Il y a sept ans. Il y a huit ans. Il y a neuf ans. Il y a dix ans. |