Doutes
Arrêter ou persévérer ? Tout stopper ou continuer ? La sage-femme me dit, Ayez confiance en vous, vous y arriverez ! La pédiatre me dit, Achetez une boite de lait en poudre, ce n'est pas la peine de s'acharner. Comme la première fois, les cloches sonnent différemment selon la direction. Et moi, au milieu, je suis perdue. J'essaie d'écouter ce qu'il y a au fond de moi, mais je ne sais pas très bien. Je sais qu'il y a de la peur et de la culpabilité. Peur de me retrouver dans la même situation qu'il y a deux ans et demi avec mon premier bébé – peur de ne pas réussir à nourrir mon enfant, à le faire grandir, à lui donner mon lait. Culpabilité d'abandonner en route, de baisser les bras et de ne pas aller jusqu'au bout de mon projet.
Je suis assise devant le bureau de la sage-femme. Cela fait le troisième mouchoir en papier que j'inonde. Je sens une nouvelle larme couler le long de ma joue. Elle est chaude, elle est salée. La sage-femme me dit, Je ne peux pas vous influencer, c'est vous qui savez ce que vous devez faire face à cet allaitement. Je hoche la tête. Je n'arrive pas à parler. Pourtant, je sais. Je sais que la décision est en moi. Il faut juste trouver la bonne voie, celle que j'ai envie de suivre tout au fond de moi. Celle qui me fera le moins mal – voire celle qui me fera du bien.
Dans la rue, je marche en serrant fort ma fille contre moi. Son petit corps est si léger, sa tête si frêle sous le bonnet trop grand. Il me semble qu'elle n'est pas plus lourde qu'une plume. Je la tiens avec précaution, comme si j'avais peur qu'elle se casse sous mes doigts. O. me dit, Tu sais, j'ai été nourri au lait en poudre et je suis plutôt réussi, non ? Il me dit aussi, Je veux que tu sois bien, que tu te sentes bien. Je lui réponds, Moi aussi, moi aussi. Et je souris dans mes larmes. Je voudrais lui prendre la main, mais je ne peux car mes deux mains serrent le fragile bébé.
Dans la voiture, on décide tous les deux d'acheter pour ce soir une boite de lait en poudre premier âge. Juste au cas où, comme ça. Pour ne pas continuer de regarder avec inquiétude les aiguilles de la balance qui ne bougent pas et qu'enfin la barre des 3 kg soit à nouveau franchie. Soudain, je me sens plus calme. Mes larmes ne sont plus à fleur de peau. Je les ai fait rouler sous mes doigts. Elles sont parties et peut-être désormais vont-elles me laisser plus forte ?
Plus tard, en nous disant au-revoir, la pédiatre me dit, Vous savez, tous les enfants sont différents et le second ne reproduit pas le premier. Je regarde ma petite tête ronde. Ma Crevette n'est pas ma Sardine. Même si elles ont les mêmes parents, les mêmes habits, la même maison, les mêmes cheveux dorés. Ce que j'ai vécu une fois, je ne le vivrai pas une seconde fois. Et c'est tant mieux. Il faut juste que j'en sois convaincue pour ne plus avancer en regardant en arrière.
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Il y a un an.
Il y a deux ans. Il y a trois ans. Il y a quatre ans. Il y a cinq ans. Il y a six ans. Il y a sept ans. Il y a huit ans. Il y a neuf ans. Il y a dix ans. Il y a onze ans. Il y a treize ans.
Il y a quatorze ans.
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