Mercredi 18 décembre 2013

Elle et moi

Trois mois aujourd'hui. Le regard étonné des premiers jours s'est transformé en regard amusé. Petit sourire en coin et minuscule langue rose au bord des lèvres : la Crevette semble rire de mes propres sourires et mimiques appuyées. Désormais, elle met ses doigts à la bouche et essaie d'attraper son pouce. Ou bien elle soulève sa tête et le haut de son corps, arquant ses bras comme si elle portait des poids. Je dis, Regarde elle fait le gros dur. Ou bien je dis, Regarde elle rigole. Je dis encore, Mais regarde donc elle sourit. Son père pianote sur son ordinateur et ne lève même pas la tête. Quand il finit par venir nous voir sur le canapé, la Crevette ne sourit plus et a repris son air sérieux. Tant pis, raté. Mais O. attrape la Crevette qui passe de bras en bras, comme un lourd paquet. O. dit, Baba ça va ? Et moi, comme à chaque fois, je m'étonne. O. est le Baba de la Sardine mais aussi de la Crevette. Il est deux fois Papa comme moi je suis deux fois Maman. Et trois mois après, je n'en reviens toujours pas.

Trois mois peau à peau, à bras le corps. Nous vivons l'une sur l'autre. Son rythme est le mien. Les jours passent, lents et rapides à la fois, emprunts de douceur, de chaleur et de l'odeur un peu âcre du lait qui a séché sur un bavoir oublié. J'ai accepté l'idée de ne rien faire de mes journées. Ne rien faire d'autre qu'aimer ce petit bout de chair rose qui a toujours une goutte de lait qui perle à ses lèvres. Ne rien faire d'autre qu'être une maman à plein temps, paresseuse et indolente souvent, fatiguée et courbaturée parfois, émerveillée et incrédule toujours. Sur mon agenda, à la date du 30 décembre, j'ai inscrit "Date officielle fin congé mat'". A chaque fois que je tombe sur cette inscription manuscrite, je souris, caressant doucement ma chance. Ma chance de pouvoir allonger l'officiel de deux longs mois supplémentaires. La Crevette et moi, on va jouer les prolongations. Presque deux mois et demi encore à se lover l'une contre l'autre et à regarder les heures qui s'écoulent dans la chaleur de l'appartement un peu trop chauffé. Presque deux mois et demi à l'avoir rien que pour moi, maman exclusive et égoïste.

Toutes les deux, on regarde les téléfilms de Noëls de M6, on se gave l'une de lait, l'autre de chocolat, et on repousse le chat qui veut s'incruster sur le coussin d'allaitement. Le matin, souvent, on sort. La poussette ou le porte-bébé, selon s'il a fallu ou pas accompagner la grande à l'école ou chez sa nounou. Je m'invente des tâches ou des échéances – aller à la pharmacie, passer à la banque déposer un chèque, acheter des croquettes pour chat, visiter le chantier de la maison. Je traîne à l'épicerie bio et je prends l'ascenseur pour monter au premier étage de la bibliothèque. Je commande un plateau-repas chez le charcutier ou j'achète des nouilles sautées chez le traiteur asiatique. Je farfouille dans les grands bacs des fripiers du marché et j'achète un bonnet à pompon pour la Sardine ou un petit pantalon en velours pour la Crevette. Lorsque je rentre, j'essaie de déposer la Crevette endormie dans son lit, mais je sais que j'y parviens rarement sans qu'elle se réveille. D'une tétée à l'autre, la journée déjà bien entamée s'écoule. Je sais que bientôt il sera 17 h et que le jour aura déjà commencé de tomber. Je sais qu'il sera déjà l'heure d'aller chercher la Sardine ou bien je l'entendrai taper du pied dans l'entrée, suivie de son père jetant son manteau au porte-manteau.

Trois mois nonchalants pour apprendre à s'aimer et à ne plus pouvoir se passer l'une de l'autre. Trois mois paresseux pour se connaître par cœur et prolonger le jeu de poupées russes de la grossesse. Trois mois un peu longs aussi pour s'ennuyer et se sentir parfois un peu trop seule. Et pourtant je suis si heureuse que ces trois mois se prolongent de presque deux mois et demi. Elle et moi. Elle rien que pour moi.

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