Ce matin, j'ai pris ma petite voiture pour remonter la côte vers le nord de la Basse-Terre. La route est sinueuse et ne cesse de monter et de descendre, mais elle a l'avantage d'être unique et donc évite de se tromper de chemin. Après Bouillante, j'ai traversé Pointe-Noire et Deshaies qui sont de petits villages de pêcheurs. Plus on remonte vers le nord, plus la végétation devient sèche et le relief escarpé. Ce sont les hauteurs de la Soufrière aux environs de Basse-Terre qui retiennent les nuages et concentrent les précipitations, rendant la région du sud bien plus humide.
Je suis sur la plage de la Grande Anse, à Deshaies. C'est une immense plage de sable jaune, bordée par la forêt et s'étendant en forme d'arc de demi-cercle. Les vagues, ou plutôt les rouleaux, associés au courant fort, rendent très difficile la baignade. En à peine cinq minutes, j'ai fait deux plongeons subaquatiques avec avalage express de sable garantie, complètement involontaires et immaîtrisés (ce qui m'a très vite fait comprendre pourquoi il n'y avait personne dans l'eau).
Je crois que je ne suis pas prête de si tôt à de nouveau voyager seule - sans automobile ni téléphone portable de surcroît, et en dehors d'une grande ville. Il me semble plus difficile et moins naturel de profiter des découvertes quand on les fait seule. Lorsque je vois quelque chose qui m'étonne ou me ravit, je n'ai personne pour en parler et avec qui partager mes sentiments, si bien que ceux-ci paraissent se perdre, étouffés dans leur silence. Bien sûr, il y a des avantage à voyager seule : je peux aller à ma guise et décider de ce que je veux, sans me voir opposer la moindre résistance. D'autre part, la solitude me pousse naturellement vers les autres, ne serait-ce que pour demander mon chemin. Mais comme je ne possède pas l'art de la conversation et que j'ai du mal à communiquer, je ne peux dire que j'ai noué autre chose que des relations superficielles, me permettant de simplement entrevoir un petit bout de vie au travers de quelques phrases ou d'un sourire échangés.
Je crois qu'un paysage est bien plus beau lorsque des regards multiples le déroulent jusqu'au bout de lui-même. Un regard ne vaut pas grand chose s'il n'est pas partagé, convergent vers un même champ d'observation.
Nous avons donc été chez Sb, encore un ami interne de Map, pour prendre un bon petit-déjeuner, en compagnie de S. et Lo.. J'ai dégusté un succulent pamplemousse, à peine amer et légèrement sucré. Nous avons pris la voiture super-sonique de S., à la phono impressionnante (zouk à fond garanti) pour aller vers la Soufrière faire un petit jogging. Il y avait du brouillard et de la pluie, mais c'était le temps parfait pour ne pas trop transpirer dans l'effort. Cette petite course matinale m'a bien détendue, d'autant plus que nous l'avons enchaînée par un petit plongeon aux Bains-Bleus. C'est un bassin naturel creusé dans la roche, où arrive de l'eau chaude. Cela donnait une impression de jakuzzi géant très relaxant. S. ayant emporté son shampoing, on en a même profité pour faire un brin de toilette !
Nous avons laissé Lo. et nous sommes allés chercher son copain, M., et Mado nous a rejoints. Nous sommes montés en voiture vers le chemin des chutes du Galion, où nous avons fait un petit pique-nique. Nous avons rejoint la rivière où j'avais fait ma randonnée aquatique et nous avons profité de l'eau fraîche et du soleil. Encore un paysage paradisiaque… Ambiance pub Tahiti, fraîcheur Alizée !
Nous avons retrouvé des amis de Mado, et nous avons fini l'après-midi sur la plage, à observer les fonds marins avec masque et tuba. En revenant, M. nous a payé une glace à la noix de coco. C'est de la crème glacée succulente, faite maison, comme le témoigne le matériel de préparation (un simple pot en bois, entouré de glaçons, avec une manivelle pour mélanger la glace).
Enfin, nous avons passé la soirée dans un bon restaurant de Baillif. Ce qu'il y a de bien de sortir avec des gens de la région, c'est qu'ils connaissent inévitablement toutes les bonnes adresses !
Après cette petite baignade, nous sommes allés visiter la caféière Beauséjour. Elle abrite un petit musée sur l'histoire et la fabrication du café (et l'on apprend entre autres que le café, lui aussi, a été importé au XVIIIème siècle). A côté d'une plantation de café, il y a une magnifique maison en bois de style colonial magnifiquement décorée. Nous avons dégusté un petit café et nous serions bien resté déjeuner, si l'endroit n'était pas si prisé (ce qui est justifié, car le site dominant la mer des Caraïbes est très beau). Nous nous sommes donc rabattus sur un petit restaurant près de Bouillante, où j'ai dégusté une bonne assiette créole (boudin noir très épicé, acras, rillettes de poisson et igname).
Pendant que Map et Sb ont été taquiner une nouvelle fois les poissons (tous les deux sont fiers de leur niveau 2, nouvellement acquis, en plongée sous-marine), nous sommes allés nous prélasser dans des sources thermales d'eau chaude, près de Bouillante. La source de l'anse Thomas semble d'emblée sans prétention, mais dès que l'on met un pied dans l'eau on ne peut être qu'attiré merveilleusement par cette eau brûlante. En effet, l'eau arrivant de la source à 70°C se mélange à l'eau de mer, donnant un bain à près de 45°C. L'eau sous les cailloux était parfois si chaude qu'il fallait se pousser de quelques centimètres, de peur de se brûler. L'endroit est surtout fréquenté par des Antillais - surtout le dimanche - et, semble-t-il, peu connu des touristes. Au large de la source, il y a sous l'eau de magnifiques bancs de poissons, sans doutes attirés par l'eau chaude, eux aussi. Dommage que je n'avais que mes bonnes vieilles lunettes de piscine pour admirer les fonds !
Le soleil se couchant, il a bien fallu rentrer. Nous avons fini la soirée chez Lo. et M. qui nous avaient cuisiné un bon petit poulet au lait de coco (très bon, même si le mélange peut paraître surprenant).
Mon dernier jour en Guadeloupe… Mon avion n'étant qu'en fin d'après-midi, nous avons décidé, avec Map, de profiter de la matinée pour visiter la partie nord de l'île que je n'avais pas vu. Le nord-ouest de la Grande-Terre est une zone rurale composée essentiellement de champs de cannes à sucre. C'est un des coins les moins touristiques de la région, et pourtant c'est là que semble être concentrée la Guadeloupe la plus authentique. Nous avons traversé de petits villages assez pauvres, à l'écart semble-t-il de toute civilisation. Nous voulions visiter la mangrove. Il s'agit d'une forêt littorale, inondée par l'eau de mer, et plutôt marécageuse. On devine qu'il y a dans ce coin beaucoup de crustacés et de plantes aquatiques. Nous nous sommes baladés près de la plage Babin, à Vieux-Bourg, qui, en fait, se réduit surtout à une grande étendue d'herbe. C'est là que je me suis baignée pour la dernière fois, histoire de ramener en métropole un peu de sel sur ma peau. Dans cette région de la Guadeloupe, il faut particulièrement faire attention au mancenillier dont les branches laissent s'écouler une sève particulièrement toxique, pouvant provoquer des brûlures importantes.
Nous aurions voulu mon séjour en beauté, nous n'aurions pas pu mieux faire que d'aller là où le hasard nous a guidé : au restaurant "Chez Monique", sur la place de Vieux-Bourg. La salle du restaurant, très familial, est un spectacle à elle toute seule, animée de main de maître par la dite Monique, métropolitaine d'origine installée ici depuis une quinzaine d'années. Elle tutoie tout le monde et est attentive à chacun de ses convives, comme une vraie petite mamie. Elle nous a fait de magnifiques langoustes, merveilleusement assaisonnées. En partant, elle a bien fait attention à me donner son adresse pour que je lui écrive une carte postale, qui viendra accompagner la bonne trentaine de vues qui décorent un mur entier du restaurant.
Je crois que c'est là que se finit le récit… Le reste vaut-il la peine d'être raconté ? Les gens bronzés (tendance "alerte rouge" cependant pour un bien grand nombre) à l'aéroport… Un commandant de bord déchaîné qui n'a pas arrêté de nous faire des blagues dans l'avion ("regardez bien sur la droite, on peut voir Harry Potter qui nous fait un signe !", s'est-il permis de dire, faisant éclater de rire tous les passagers, hôtesses de l'air comprises)… Le retour dans le froid et dans l'obscurité à Paris… Le long trajet en RER dans la grisaille et le silence des banlieusards partant travailler… La longue fatigue du décalage horaire pendant deux ou trois jours…
Il me reste maintenant de ce voyage une bonne bouteille de rhum pour faire des ti punch à mes amis, un long tissu de madras rouge et jaune à transformer en nappe, du sucre de canne, un joli mobile musical acheté aux Saintes, un pareo bleu profond, un bronzage soutenu sur tout mon corps qu'il me faudra cacher sous mes vêtements d'hiver, et puis bien sûr ce carnet avec ces photos. Il me restera aussi mes souvenirs - toutes ces images qui n'ont pas pu tenir sur le papier glacé, ni entrer dans les mots de tous les jours. Et tout ça, c'est déjà pas mal…