KARUKERA
Voyage en Guadeloupe
février 2002


Episodes 1 - 2 - 3



8ème jour : vendredi


Plage de la Grande Anse - Deshaies - 11h30
C'est fou comme on s'habitue vite au changement au fond. Voilà à peine une semaine que je suis là et déjà plus rien de ce qui m'avait surprise à mon arrivée ne m'étonne : le temps chaud tous les jours qui rend superflue la consultation de la météo (on y dit toujours la même chose), les grenouilles qui sonorisent toutes les nuits sans discontinuité (au début je croyais que c'était des oiseaux tellement elles gazouillent fortement), et surtout cette sorte de nonchalance tranquille qu'abordent les gens d'ici. On a l'impression que l'uniformité des saisons fait ressentir le passage du temps avec moins de gravité. Il semble que cela soit impossible d'être stressé ici.

Ce matin, j'ai pris ma petite voiture pour remonter la côte vers le nord de la Basse-Terre. La route est sinueuse et ne cesse de monter et de descendre, mais elle a l'avantage d'être unique et donc évite de se tromper de chemin. Après Bouillante, j'ai traversé Pointe-Noire et Deshaies qui sont de petits villages de pêcheurs. Plus on remonte vers le nord, plus la végétation devient sèche et le relief escarpé. Ce sont les hauteurs de la Soufrière aux environs de Basse-Terre qui retiennent les nuages et concentrent les précipitations, rendant la région du sud bien plus humide.

Je suis sur la plage de la Grande Anse, à Deshaies. C'est une immense plage de sable jaune, bordée par la forêt et s'étendant en forme d'arc de demi-cercle. Les vagues, ou plutôt les rouleaux, associés au courant fort, rendent très difficile la baignade. En à peine cinq minutes, j'ai fait deux plongeons subaquatiques avec avalage express de sable garantie, complètement involontaires et immaîtrisés (ce qui m'a très vite fait comprendre pourquoi il n'y avait personne dans l'eau).

plage de Deshaies

Mac Donalds de Basse-Terre - 19 heures
Il me fallait rendre la voiture avant 17 heures, donc j'ai dû redescendre assez rapidement, même si j'ai pu en profiter pour faire plusieurs arrêts sur le chemin du retour. J'attends que Map vienne me chercher, étant de nouveau rendue bien pauvre, démunie de toute voiture. Il n'y a pas de café, semble-t-il, dans la ville, et il est difficile de trouver un coin sûr pour attendre (il fait nuit depuis une heure dehors, et les boutiques ont fermé à 18 heures). Alors me voilà rendue dans le Mac Do de la planète capitaliste, sauf qu'on y passe de la musique zouk et qu'il est fréquenté à très grande majorité par de jeunes enfants (cela a l'air d'être la grande sortie de la semaine pour les gamins).

Je crois que je ne suis pas prête de si tôt à de nouveau voyager seule - sans automobile ni téléphone portable de surcroît, et en dehors d'une grande ville. Il me semble plus difficile et moins naturel de profiter des découvertes quand on les fait seule. Lorsque je vois quelque chose qui m'étonne ou me ravit, je n'ai personne pour en parler et avec qui partager mes sentiments, si bien que ceux-ci paraissent se perdre, étouffés dans leur silence. Bien sûr, il y a des avantage à voyager seule : je peux aller à ma guise et décider de ce que je veux, sans me voir opposer la moindre résistance. D'autre part, la solitude me pousse naturellement vers les autres, ne serait-ce que pour demander mon chemin. Mais comme je ne possède pas l'art de la conversation et que j'ai du mal à communiquer, je ne peux dire que j'ai noué autre chose que des relations superficielles, me permettant de simplement entrevoir un petit bout de vie au travers de quelques phrases ou d'un sourire échangés.

Je crois qu'un paysage est bien plus beau lorsque des regards multiples le déroulent jusqu'au bout de lui-même. Un regard ne vaut pas grand chose s'il n'est pas partagé, convergent vers un même champ d'observation.


9ème jour : samedi


Nous avons commencé la première journée du week-end de façon active. D'ailleurs Map ne fait à peu près jamais la grasse matinée depuis qu'elle est ici : la proximité d'un tel paysage incite à profiter au maximum de chaque instant et, le jour tombant tôt, il est bien dommage de ne pas bénéficier des premiers rayons du soleil dès qu'ils apparaissent.

Nous avons donc été chez Sb, encore un ami interne de Map, pour prendre un bon petit-déjeuner, en compagnie de S. et Lo.. J'ai dégusté un succulent pamplemousse, à peine amer et légèrement sucré. Nous avons pris la voiture super-sonique de S., à la phono impressionnante (zouk à fond garanti) pour aller vers la Soufrière faire un petit jogging. Il y avait du brouillard et de la pluie, mais c'était le temps parfait pour ne pas trop transpirer dans l'effort. Cette petite course matinale m'a bien détendue, d'autant plus que nous l'avons enchaînée par un petit plongeon aux Bains-Bleus. C'est un bassin naturel creusé dans la roche, où arrive de l'eau chaude. Cela donnait une impression de jakuzzi géant très relaxant. S. ayant emporté son shampoing, on en a même profité pour faire un brin de toilette !

Nous avons laissé Lo. et nous sommes allés chercher son copain, M., et Mado nous a rejoints. Nous sommes montés en voiture vers le chemin des chutes du Galion, où nous avons fait un petit pique-nique. Nous avons rejoint la rivière où j'avais fait ma randonnée aquatique et nous avons profité de l'eau fraîche et du soleil. Encore un paysage paradisiaque… Ambiance pub Tahiti, fraîcheur Alizée !

douche super luxe

Nous avons retrouvé des amis de Mado, et nous avons fini l'après-midi sur la plage, à observer les fonds marins avec masque et tuba. En revenant, M. nous a payé une glace à la noix de coco. C'est de la crème glacée succulente, faite maison, comme le témoigne le matériel de préparation (un simple pot en bois, entouré de glaçons, avec une manivelle pour mélanger la glace).

Enfin, nous avons passé la soirée dans un bon restaurant de Baillif. Ce qu'il y a de bien de sortir avec des gens de la région, c'est qu'ils connaissent inévitablement toutes les bonnes adresses !


10ème jour : dimanche


Après avoir retrouvé une nouvelle fois les copains de Map, nous sommes montés vers Pointe-Noire, pour faire une petite balade jusqu'au saut d'Acomat. Il s'agit d'une belle cascade chutant d'une dizaine de mètres à travers un passage relativement étroit et se jetant dans une grande vasque naturelle, aux eaux vertes, où il fait bon de se baigner. La végétation luxuriante composée de figuiers-maudits donne un aspect sauvage au décor. Toutefois, il faut être vigilant, car les jours de fortes pluies (et justement aujourd'hui il pleut pas mal) l'eau de la rivière peut monter de plusieurs mètres en quelques minutes à peine.

super toboggan

Après cette petite baignade, nous sommes allés visiter la caféière Beauséjour. Elle abrite un petit musée sur l'histoire et la fabrication du café (et l'on apprend entre autres que le café, lui aussi, a été importé au XVIIIème siècle). A côté d'une plantation de café, il y a une magnifique maison en bois de style colonial magnifiquement décorée. Nous avons dégusté un petit café et nous serions bien resté déjeuner, si l'endroit n'était pas si prisé (ce qui est justifié, car le site dominant la mer des Caraïbes est très beau). Nous nous sommes donc rabattus sur un petit restaurant près de Bouillante, où j'ai dégusté une bonne assiette créole (boudin noir très épicé, acras, rillettes de poisson et igname).

là où je voudrais habiter

Pendant que Map et Sb ont été taquiner une nouvelle fois les poissons (tous les deux sont fiers de leur niveau 2, nouvellement acquis, en plongée sous-marine), nous sommes allés nous prélasser dans des sources thermales d'eau chaude, près de Bouillante. La source de l'anse Thomas semble d'emblée sans prétention, mais dès que l'on met un pied dans l'eau on ne peut être qu'attiré merveilleusement par cette eau brûlante. En effet, l'eau arrivant de la source à 70°C se mélange à l'eau de mer, donnant un bain à près de 45°C. L'eau sous les cailloux était parfois si chaude qu'il fallait se pousser de quelques centimètres, de peur de se brûler. L'endroit est surtout fréquenté par des Antillais - surtout le dimanche - et, semble-t-il, peu connu des touristes. Au large de la source, il y a sous l'eau de magnifiques bancs de poissons, sans doutes attirés par l'eau chaude, eux aussi. Dommage que je n'avais que mes bonnes vieilles lunettes de piscine pour admirer les fonds !

Le soleil se couchant, il a bien fallu rentrer. Nous avons fini la soirée chez Lo. et M. qui nous avaient cuisiné un bon petit poulet au lait de coco (très bon, même si le mélange peut paraître surprenant).


11ème jour : lundi

Mon dernier jour en Guadeloupe… Mon avion n'étant qu'en fin d'après-midi, nous avons décidé, avec Map, de profiter de la matinée pour visiter la partie nord de l'île que je n'avais pas vu. Le nord-ouest de la Grande-Terre est une zone rurale composée essentiellement de champs de cannes à sucre. C'est un des coins les moins touristiques de la région, et pourtant c'est là que semble être concentrée la Guadeloupe la plus authentique. Nous avons traversé de petits villages assez pauvres, à l'écart semble-t-il de toute civilisation. Nous voulions visiter la mangrove. Il s'agit d'une forêt littorale, inondée par l'eau de mer, et plutôt marécageuse. On devine qu'il y a dans ce coin beaucoup de crustacés et de plantes aquatiques. Nous nous sommes baladés près de la plage Babin, à Vieux-Bourg, qui, en fait, se réduit surtout à une grande étendue d'herbe. C'est là que je me suis baignée pour la dernière fois, histoire de ramener en métropole un peu de sel sur ma peau. Dans cette région de la Guadeloupe, il faut particulièrement faire attention au mancenillier dont les branches laissent s'écouler une sève particulièrement toxique, pouvant provoquer des brûlures importantes.

la mangrove

Nous aurions voulu mon séjour en beauté, nous n'aurions pas pu mieux faire que d'aller là où le hasard nous a guidé : au restaurant "Chez Monique", sur la place de Vieux-Bourg. La salle du restaurant, très familial, est un spectacle à elle toute seule, animée de main de maître par la dite Monique, métropolitaine d'origine installée ici depuis une quinzaine d'années. Elle tutoie tout le monde et est attentive à chacun de ses convives, comme une vraie petite mamie. Elle nous a fait de magnifiques langoustes, merveilleusement assaisonnées. En partant, elle a bien fait attention à me donner son adresse pour que je lui écrive une carte postale, qui viendra accompagner la bonne trentaine de vues qui décorent un mur entier du restaurant.

***

Je crois que c'est là que se finit le récit… Le reste vaut-il la peine d'être raconté ? Les gens bronzés (tendance "alerte rouge" cependant pour un bien grand nombre) à l'aéroport… Un commandant de bord déchaîné qui n'a pas arrêté de nous faire des blagues dans l'avion ("regardez bien sur la droite, on peut voir Harry Potter qui nous fait un signe !", s'est-il permis de dire, faisant éclater de rire tous les passagers, hôtesses de l'air comprises)… Le retour dans le froid et dans l'obscurité à Paris… Le long trajet en RER dans la grisaille et le silence des banlieusards partant travailler… La longue fatigue du décalage horaire pendant deux ou trois jours…

il fait tout gris à Paris

Il me reste maintenant de ce voyage une bonne bouteille de rhum pour faire des ti punch à mes amis, un long tissu de madras rouge et jaune à transformer en nappe, du sucre de canne, un joli mobile musical acheté aux Saintes, un pareo bleu profond, un bronzage soutenu sur tout mon corps qu'il me faudra cacher sous mes vêtements d'hiver, et puis bien sûr ce carnet avec ces photos. Il me restera aussi mes souvenirs - toutes ces images qui n'ont pas pu tenir sur le papier glacé, ni entrer dans les mots de tous les jours. Et tout ça, c'est déjà pas mal…

c'est fini