Image de soi et préjugés d'autrui



pour m'écrire



















































hier demain
Mardi 29 août 2000

Je n'ai pas voulu relire le texte que j'ai écrit hier et que je n'ai pas encore mis en ligne. Car je sais bien que si je le relisais jusqu'au bout, avec la distance presque lointaine que peut donner le temps, je n'oserai pas le publier - c'est-à-dire l'offrir au regard des autres. Plus qu'à leur regard même, à leur jugement. A vrai dire, je me sens toute timide devant ce nouveau journal qui n'est pourtant pas si nouveau et je me surprends à redouter, voire à reculer le moment où je le ferai connaître à de potentiels lecteurs. On a beau se répéter qu'on n'écrit que pour soi et que l'image que les autres peuvent avoir de nous n'est pas importante, pourquoi est-ce malgré tout si difficile d'affronter un regard extérieur ? Pourquoi tant avoir peur que les autres reçoivent de nous-mêmes une image erronée ?

L'année dernière, dans mon lycée, il y avait un prof un peu joueur qui adorait mettre en boite tout le monde, se moquant plus ou moins gentiment de chacun de ses collègues. Il avait bien entendu ses cibles favorites : certaines personnes minutieusement choisies qu'il assénait de blagues de plus ou moins bon goût à chaque fois qu'il les rencontrait. Ce n'était pas méchant dans son esprit. C'était juste un jeu comme un autre. Complètement idiot, certes, mais bon, chacun rit de ce qu'il peut. Un jour qu'il s'acharnait sur une de mes amies, sautant sur les moindres détails de sa tenue vestimentaire ou de ses paroles pour les tourner en dérision, je me tourne vers lui et, un peu pour défendre ma copine, mais beaucoup aussi pour répondre à une de mes interrogations, je lui demande : "Mais pourquoi ne te moques-tu jamais de moi ? Pourquoi t'en prends-tu toujours à elle et jamais à moi ? Regarde moi... Il y aurait pourtant tant à dire et médire sur moi : ma stature fragile, mes boutons d'acné, mes cheveux trop frisés, ma petite voix trop timide... Que sais-je, moi ! Tu aurais l'embarras du choix !" Ma requête l'avait presque convaincu. Il m'a regardé et s'est mis à chercher des vannes sur moi - des horreurs analogues à celles qu'il avait lancées à ma collègue quelques instants plus tôt. Il m'a observé longtemps - très longtemps. Mais il a fini par capituler : "Non, Eva, rien ne vient. J'ai beau chercher, je n'arrive pas à trouver une plaisanterie à ton propos..." Au lieu d'être rassurée, j'étais déçue. Non pas parce que je suis un modèle de masochisme, mais parce qu'à ce moment là j'aurais aimé que l'on rit de moi, car il me semblait que c'était, dans l'esprit de ce collègue pas très fin, une condition pour pouvoir rire avec moi. En effet, entre lui et ses pires "victimes", il s'était instauré un véritable jeu - un jeu de bons mots tout en réparties et en joutes, dans lequel j'aurais voulu entrer.

Je me suis alors interrogé : quelle image ce prof a-t-il de moi pour qu'intuitivement il se sent d'emblée incapable de parler avec moi sur le ton de la libre plaisanterie ? Pourquoi lui parais-je inattaquable ? Quel est donc l'être qu'il voit en moi et qui lui fait se comporter d'une certaine façon, différente de celle qu'il prendrait avec quelqu'un d'autre ? Pourquoi ne puis-je lui inspirer aucune réaction de rire et de détente ? Pourquoi ne peut-il voir en moi une personne avec qui l'on peut parler à battons rompus et facilement plaisanter ?

Je n'ai pas vraiment de réponses à ces questions. Bien entendu, la réponse la plus simple serait de dire que je ne suis pas du tout une fille rigolote. Bon, c'est vrai que, quelque part, c'est exact. Mais je n'ai pas envie de dire cela sur moi car me l'avouer me rendrait résolument triste. Alors quoi ? Ai-je été à ses yeux prisonnière d'une image - d'une image pré-formée et pré-jugée qu'il s'était faite de moi et qui, à chacune de nos rencontres, ne pouvait être remplacée par aucune autre ?

Sans doute que vivre avec autrui ce n'est pas communiquer avec la vérité de son être, mais toujours entrer imparfaitement en relation avec l'image incertaine et floue et de son apparence. Comment alors briser ces images trompeuses et arriver enfin à être l'iconoclaste qui brisera les fausses apparences ? Qui pourra jamais me cerner telle que je suis vraiment ?