Lassitude collective |
Mardi 19 décembre 2000
Tout le monde est fatigué au lycée. Tout le monde. On est tous devenus des loques. On se traîne de salles en salles, le visage gris et les yeux dessinés par des cernes révélatrices. On fait semblant d'être motivé - le bac, l'avenir, les bonnes notes, oui, oui, c'est important tout ça. C'est fou comme on y croit encore. On se le répète juste une dernière fois pour se le persuader. Comme on y arrive pas, on fait juste mine de. Juste pour donner bonne figure. On ne regarde plus trop nos bouquins, on préfère jeter nos regards sur nos doigts, pour mieux compter comme les gamins en primaire : mardi matin, je compte, plus que 1, 2, 3, 4 jours à tirer... mardi midi, plus que 3 jours et demi... demain soir, cela ne fera plus que 3 jours. On croirait qu'on est tous devenus des prisonniers, obnubilés par la libération finale, celle qui enfin nous permettra de souffler un grand coup. Cette dernière semaine avant les vacances était de trop. On n'a plus que ça à la bouche. Et on continue de compter, entre deux profonds soupirs. C'est la première fois que je parle des profs et des élèves comme d'une totalité, comme si, dans la fatigue, tout le monde était devenu égal, comme si l'épuisement était le lien qui nous unissait tous et atténuait les distances entre les adolescents et les adultes. On reproche toujours aux professeurs leurs longues plages de congés : "de quoi ils se plaignent, ces fonctionnaires, avec leurs 4 mois de vacances !". Pourtant, c'est à cette période qu'on en comprend l'utilité. Les élèves sont fatigués, ont du mal à se concentrer, en ont marre. Même les meilleurs d'entre eux ont soudain des comportements qui ne leur ressemblent pas. Les classes sont soit au comble de l'excitation, soit au bord du sommeil profond - l'abattement ayant des conséquences différentes sur les individus : soit les réveillant dans un dernier sursaut de fièvre et d'exaltation nerveuse, soit les endormant dans une longue passivité muette. Pour la première fois, l'attitude des élèves est forcément excusable. Moi-même, lassée par les dernières copies à corriger, les journées de douze heures prolongées par des conseils de classe ou des réunions avec les parents, et tout simplement la tristesse de la saison froide et pluvieuse, j'ai du mal à être très convainquante et même très convaincue. Il m'est devenu quasi impossible de faire cours debout, et, accablée, je me vois forcée de m'asseoir, ce qui rend plus difficile l'écoute pour les élèves, les derniers rangs distinguant à peine ma tête derrière leurs camarades. Et, par solution de facilité, je me mets à dicter les cours : c'est anti-pédagogique, mais les élèves et moi nous reposons dans ces longs exercices de dictées mécaniques. Un trimestre qui dure quatre mois, c'est pas humain. Plus que trois jours... 3 jours... 3 jours... Il y a un an. |