J'aime pas Noël |
Samedi 16 décembre 2000
J'aime pas Noël. Je sais, c'est pas bien du tout. Tout le monde aime Noël, tout le monde aime les cadeaux, les chocolats, la dinde et les clochettes. Alors pourquoi vouloir se différencier et prétendre faire son originale, me direz-vous ? Ce n'est pourtant pas un désir de ne pas faire comme tout le monde. D'ailleurs, je ne déteste pas tout dans Noël : la preuve, c'est que mon pyjama-noël est mon habit préféré et que je mange tous les matins un petit chocolat que je trouve chaque jour derrière la fenêtre d'un calendrier de l'Avent. Seulement, c'est que Noël est toujours pour moi une époque difficile. A Noël, tout le monde est obligé d'être heureux. C'est la fête, c'est la famille, c'est l'amour. Et tout le monde aime ça. Et si toi, tu te réjouis pas de tout cela, on trouve ça éminemment louche, tu deviens une personne suspecte aux yeux de la société bien-aimante. Seulement, moi, je n'aime pas cette nécessité d'être heureux à cette période là. Je ne suis pas plus heureuse le 25 décembre que les autres jours de l'année - je serais même plutôt plus malheureuse parce que je ne me sens pas particulièrement heureuse et parce que je culpabilise en voyant que tout le monde autour de moi est supposé parvenir à être heureux. Je suis toujours dans une phase déprimante durant les fêtes de Noël. Tout le monde dit qu'il est heureux, que Noël est le plus beau jour de l'année, que c'est le jour du partage et de l'amour. Mais moi, parce que je suis toujours aussi peu heureuse qu'en temps ordinaire, parce que j'ai l'impression que c'est un jour comme un autre, et parce que je vois tout autant d'égoïsme et de misère que durant les 364 jours restant, j'ai toujours la nausée autour du 25 décembre. Ce n'est pas le foi gras et la bûche au chocolat qui me donnent la nausée, mais l'étalage de bonheur marchand, l'hypocrisie commerciale des vendeurs de joie. Je ne comprends pas pourquoi il faudrait accueillir les personnes âgées et réchauffer les SDF justement ce jour là, alors qu'on les laisse mourir de solitude ou de froid les autres jours de l'année. Je ne vois pas pourquoi il faudrait être généreux le 25 décembre, et pas les autres jours. Je ne saisis pas pourquoi on doit être heureux parce que tout le monde est heureux. Je n'admets pas qu'on puisse acheter le bonheur dans un supermarché bondé et qu'il faille l'emballer dans un paquet cadeau. Non, vraiment, je ne comprends rien à cette affaire de Noël. Si c'était encore une fête religieuse, je pigerais. Mais, soyons honnêtes : combien de personnes aujourd'hui attendent le 25 décembre pour célébrer la naissance du Christ ? Combien d'enfants savent que le Père Noël est un usurpateur qui a volé la place du "petit Jésus" ? Combien se rappellent que c'est un anniversaire que les chrétiens fêtent, et non pas le triomphe du capitalisme ? Certainement ai-je été mal éduquée par mes parents sur ce point-là. Mes parents n'ont jamais été pleins d'entrain pour fêter Noël. D'abord, nous n'organisions pas de grands repas avec toute la famille, comme beaucoup de foyers le font. Ne fréquentant pas véritablement la famille proche ou éloignée pour diverses raisons, nous sommes toujours restés tous les quatre, mes parents, mon frère et moi. Ensuite, mes parents ont très vite abandonné le rituel du sapin dès que j'ai été grande (c'est-à-dire vers l'âge de 6 ans), car mon père n'a jamais supporté de voir des brindilles d'arbre dans toute la maison. A une certaine période, nous ressortions tous les uns un vieux sapin en plastique, tout blanc, tout ébouriffé. Une année, il nous a semblé trop pitoyable, nous l'avons jeté, et nous ne l'avons pas remplacé. Ensuite, pour les cadeaux, nous n'en faisons pas toujours nécessairement ce jour là. En fait, nous n'avons aucune discipline : lorsque nous tombons sur un objet susceptible de plaire à l'un d'entre nous, nous l'achetons, sans se soucier de savoir si c'est la saison officielle ou si c'est justifié par une occasion déterminée. Pourquoi attendre un jour de l'année pour faire un cadeau ? Et pourquoi à tout prix offrir quelque chose si on n'a aucune idée ? Nous avons fait un accord tacite avec mes parents : mieux vaut pas de cadeau qu'une babiole achetée à la va vite dans un magasin bondé la veille de Noël et qui finira inévitablement au fin fond d'un placard. C'est pour notre petite famille tous les jours Noël, si l'on veut. Seulement, en attendant, je vis un calvaire. J'ai cru mourir aujourd'hui. Impossible de se promener tranquillement. Les rues étaient noires de monde. Il était impossible d'imaginer pouvoir mettre un pied à la FNAC. Il y avait de faux pères Noëls à tous les coins de rue. J'ai été bousculée par des dizaines de personnes se baladant avec un ridicule bonnet rouge à clochette sur la tête qu'elles avaient acheté 10 francs au marché de Noël de la ville. Au secours. J'aurais pas du sortir de chez moi. |