Interactivité



pour m'écrire

























































































hier demain
Mercredi 8 novembre 2000

En lançant ce sondage, hier, mon seul désir était de m'amuser un peu (les occasions pour ça sont rares dans ma vie en ce moment... bref). C'est à peine si l'idée que d'autres que moi pouvaient aussi s'amuser m'était venue à l'esprit. Mais, apparemment, au vu des réponses que ma boite aux lettres a reçues, il me semble que cela a été finalement le cas. Merci à tous ceux qui ont participé à ma petite enquête. En faisant ce petit sondage, je m'imaginais que j'allais tomber à côté de la plaque. Un peu comme quand on fait une blague et que personne ne se marre (expérience sans doute vécue, mais je ne sais plus : je ne fais plus de blagues en société depuis belle lurette). Mais en fait non. Je laisse encore un peu de temps aux retardataires pour qu'ils puissent envoyer leurs réponses s'ils le désirent. Vendredi ou samedi, je vous ferai part des résultats. On devrait s'amuser... (vous verrez... j'essaie de maintenir le suspens...)

Cette soudaine manifestation des lecteurs (j'ai presque reçu plus de messages en une demi-journée qu'en quatre mois de temps) m'a fait un petit peu réfléchir à l'idée d'interactivité (comme on dit) de ce journal. C'est sans doute moins intimidant de cocher des cases que d'écrire soi-même sur la page toute blanche d'un tout nouveau e-mail. Mon silence face à certains journaux que pourtant j'estime beaucoup en est la preuve. Au fond, l'interactivité d'un journal publié sur Internet n'est pas si évidente qu'on le prétend. Cet affreux barbarisme d'inter-activité entend signifier que les deux parties de l'écran agissent, qu'il y a entre (inter) auteur et lecteur une influence réciproque : l'auteur n'écrit plus tout seul, dans son coin, dans une pure solitude, mais communique (autre mot à la mode, décidément) des informations et des émotions sur lesquelles le lecteur peut rebondir et vis-à-vis desquelles il peut donner son avis ou "communiquer", à son tour, sa propre expérience. C'est ainsi que l'on définit l'interactivité chez les journalistes qui écrivent des "articles de société". Dans ce genre de discours, on affirme que tout le monde est actif et que, pour cette raison, Internet est décidément un média génial. On dit alors que c'est un "média horizontal" et non plus "vertical" : non plus un lien entre une autorité dominante qu'on écoute passivement, mais un échange dynamique entre des instances mises à égalité du point de vue du pouvoir que donne la prise de parole.

Tout cela c'est vrai, bien sûr. Bien sûr que c'est génial Internet. Mais, quand même, est-ce si simple ? S'il y avait véritablement interactivité en ce sens là, ce n'est pas simplement au moment où l'on demande de cocher des cases que les lecteurs communiqueraient massivement, mais tout le temps, indépendamment des requêtes explicites de l'auteur. Si c'était le cas, un journal intime publié sur Internet ne serait plus du tout un exercice solitaire. Ce serait un vaste terrain d'échange, une grande agora partagée par des horizons divers. Ce serait peut-être intéressant, mais ce ne serait plus un journal. D'ailleurs, lorsqu'il y a des forums inclus entre les pages d'un journal web, on y discute bien plus entre copains de la pluie et du beau temps que de la vie même de l'auteur. C'est un discours parallèle plutôt qu'un discours continuant l'écriture proprement dite du journal.

Si, à mon sens, il ne peut y avoir dans un journal web de véritable "interactivité" au sens entendu habituellement, c'est qu'il y a forcément une situation d'inégalité. Par définition, il y a ici, comme dans toute autre situation d'écriture - à commencer par la plus traditionnelle - une essentielle disjonction presque hiérarchique : il y a celui qui agit en écrivant et en choisissant de parler de ce dont il a envie de parler, et il y a celui qui regarde et écoute parfois en répondant, mais souvent en préférant le silence pour pouvoir continuer à écouter. Je parle ici de mon expérience en tant que lectrice et non pas de diariste. Le diariste - d'autant plus si on apprécie son écriture - apparaît, malgré sa proximité, comme distant : il a la parole, et cela lui confère un certain pouvoir, une certaine liberté qu'il est souvent intimidant de troubler. On a beau avoir l'adresse de l'auteur à portée de clic de souris, celui-ci reste toujours lointain parce que malgré tout c'est lui qui mène l'action, c'est lui qui crée une existence - et qui plus est la sienne propre. Face à cette existence inventée devant ces yeux le lecteur ne peut que devenir spectateur et, s'il devient à son tour acteur en écrivant à l'auteur, ce n'est qu'en un sens dérivé.

Internet a atténué la séparation d'autorité entre auteur et lecteur, mais elle est toujours là. La génialité d'Internet, c'est que tout le monde a la possibilité (mais pas forcément la capacité) de prendre le pouvoir des mots et de se créer ainsi dans la position de l'actant. Mais la barrière reste là pourtant - malgré la communication accrue entre les deux instances.

Où mon écriture m'a-t-elle menée ? Je voulais dans cette page pour remercier vivement d'avoir participé si activement à mon petit jeu d'hier (si débile soit-il), et voilà qu'en me lisant vous pourriez penser que je vous reproche d'être passifs. Non, ce n'est pas du tout ce que je veux dire ! En faisant la remarque qu'il n'y a pas de véritable interactivité, je ne fais pas là un constat dépité devant l'univocité (au sens d'une seule voix) du discours diariste. Au contraire. Je voudrais ainsi redonner un sens à ce mot trop à la mode d'interactivité (je n'aime pas les mots à la mode, je n'y peux rien). La vraie interactivité n'est pas matérielle ni technique : elle ne se compte pas dans le nombre de e-mails échangés. Elle est plutôt d'ordre spirituel, à mon sens. Tout de suite les grands mots allez vous dire. Un journal n'est pas interactif lorsque tout le monde se met à agir. Le vrai journal interactif est celui qui agit à l'intérieur de ceux qui le lisent. C'est celui qui fait écho, celui qui fait naître dans l'âme du lecteur une voix intérieure parallèle, mais personnelle. L'interactivité, ce n'est pas donner sans fin des opinions, c'est faire naître des sentiments et des pensées à l'intérieur de soi. La plus belle preuve d'interactivité que je peux recevoir, c'est quelques lignes d'un lecteur qui me dirait : "ce que tu écris m'a touché, car cela a rappelé en moi une partie de ma vie..." Si j'arrive à cela, j'ai réussi ma mission, si la mission de tout internaute, c'est d'être "interactif", comme on dit.

Je ne sais pas si je suis très claire. Hum, j'en doute à vrai dire. Ce que je veux que vous reteniez (c'est le prof qui parle là), c'est que j'aime vos messages et que vos réactions sont importantes pour moi, mais qu'en même temps je comprends vos silences si nombreux. Je préfère que vous soyez "interactifs" en mon sens qu'au sens de la mode : au sens intérieur, au sens intime, au sens qualitatif, et non pas simplement quantitativement.