Interview



pour m'écrire





















































































hier

Les questions ont été posées à Fred et à moi, à propos de notre journal commun, Les Yeux dans les Yeux. Le fait qu'aujourd'hui ce journal soit désormais à l'état latent (ou en sommeil profond, si vous préférez) explique pourquoi mon "questionneur" et moi-même nous parlons au passé. Je ne parle ici qu'en mon nom, ignorant si Fred a voulu lui aussi répondre...

Vous avez écrit a quatre mains pendant plus d'un an, et c'est une démarche plutot originale sur le web. Qu'est-ce qui vous a poussé à vous mettre en scène de cette manière ?
Je ne crois pas que l'expression "mettre en scène" convienne véritablement ici, même si la métaphore théâtrale est tentante. En écrivant sur Internet, je n'ai voulu à aucun moment faire de ma vie un spectacle pour un public-lecteur, ni non plus me construire une existence plus ou moins fictive. Plutôt que de mise en scène, je parlerais plutôt de "mise en écriture". Pour moi, l'écriture a toujours été essentielle dans cette expérience, et c'est peut-être par les mots qu'elle prend tout son sens. Il s'agit avant tout de transformer en mots ma propre vie, ou plutôt de prolonger celle-ci dans la parole écrite, pour, si c'est possible, m'en rendre plus consciente.
Cependant, même si j'arrive mieux, maintenant, avec le recul, à comprendre cette démarche qui a toujours été la mienne, je ne crois pas que j'avais des idées aussi claires sur la question au tout début de notre expérience d'écriture commune. En effet, tout a un peu commencé comme un jeu. J'étais intriguée et fascinée à la fois par la rencontre que j'avais eu quelques semaines plus tôt avec les journaux on-line. Je trouvais cela fou de se raconter ainsi potentiellement au monde entier. Je me disais que les gens qui écrivaient leur intimité sur Internet étaient eux-mêmes fous... et en même temps je mourrais d'envie de faire comme eux. Fred, que j'avais "rencontré" virtuellement à cette même époque, a compris mon désir, et c'est en fait lui qui m'a fait la surprise d'ouvrir ce journal. Les premiers temps, nous écrivions tous les deux chacun de notre côté, nous amusant à une sorte de jeu de ping-pong, l'un renvoyant à l'autre un petit bout de sa vie. Puis c'est devenu au fil des mois toujours un petit peu plus sérieux, jusqu'à ce que celui qui était l'instigateur même de l'expérience se retire petit à petit du jeu...

Qu'en attendiez-vous ?
J'en attendais certainement une écoute. D'abord une écoute de moi-même. Ecrire régulièrement me force à arrêter le cours de ma vie et rend possible la distance nécessaire qui me permet de m'écouter moi-même (sans obligatoirement qu'il n'y ait complaisance, même s'il y a une part narcissique indéniable dans l'écriture diariste). L'écriture me rend en quelque sorte à moi-même. Ce n'est pas que je me serais quittée à un moment donné, mais c'est que le fait d'écrire m'oblige à regarder avec distance et peut-être critique le monde quotidien et ses habitudes.
Mais il y a cette attente certainement dans tout journal intime. Ce qu'Internet a ajouté à cela est bien entendu l'écoute des autres. Internet offre à celui qui écrit un lectorat potentiel. Je n'écrivais plus seulement pour celle que je serai devenue plus tard (comme dans un journal intime traditionnel), ni non plus simplement pour une personne (Fred ici, comme dans nos e-mails en privé), mais pour un nombre indéterminé de personnes. Il me semblait que l'expérience première que me donnait l'écriture s'en trouvait démultipliée par la présence (même infime) de lecteurs, certes potentiellement présents, mais réellement existants. Peut-être voulais-je donner aux autres ce que j'ai au fond de moi et que l'existence quotidienne ne me permet pas toujours d'exprimer.

Est-ce que cela répondait a un besoin ?
Comme j'ai essayé de le dire plus haut, ce désir d'écrire sur Internet répondait plus ou moins consciemment au double besoin de me connaître moi-même et d'une certaine façon de me donner à connaître. L'écriture semblait pouvoir combler les lacunes en moi-même, et, en quelque sorte de m'achever - au sens propre de me rendre plus parfaite, plus adéquate à moi-même.
Au fond, l'écriture diariste est proprement égoïste. C'est un ego qui se regarde lui-même grandir. Peut-être est-ce pour cela que Les Yeux dans les Yeux n'a pas pu durer plus longtemps. Nous étions partis d'un échange et d'un partage, comme le permettent les e-mails et la conversation électronique, mais le journal intime nous a conduit à moins regarder l'autre et à se regarder de plus en plus soi-même, nous recentrant chacun sur notre intimité.

Qu'est-ce que cela vous a apporté ?
Cela m'a permis de mieux comprendre ce que je vivais - peut-être aussi d'en reprendre possession.

Avez-vous eu fréquemment un retour de la part des lecteurs ? Quelles étaient leurs réactions ?
Je ne crois pas que nous ayons été à un quelconque moment beaucoup lu, n'ayant jamais réclamé par la publicité un large public. Les messages des lecteurs ont donc été proportionnels à cette petite popularité. Mais nous en avons eu tout de même quelques uns en plus d'un an. Tous ont été positifs et encourageants. Certains revenaient sur un événement que nous racontions dans notre journal et le commentaient, parfois en donnant leur avis, d'autres fois en contant qu'une aventure ou une expérience similaire leur était arrivée. Quelques uns aussi donnaient des conseils, ou bien nous réconfortaient quand nous n'étions pas en forme. D'autres encore paraissaient même touchés par ce que nous écrivions. Ces messages de lecteurs souvent enthousiastes m'ont à chaque fois encouragée à continuer, m'apportant une preuve de plus que ce que je faisais avait quelque part un sens, et me rappelant que je ne parlais pas dans le vide.

Est-ce que cela vous manque aujourd'hui?
C'est surtout à Fred qu'il faudrait demander, car c'est lui qui a cessé d'écrire. En effet, je continue pour ma part dans un journal à mon propre nom - Regards solitaires... Mais c'est vrai que les lignes bleues de Fred en bas de mes propres mots me manquent souvent encore !